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M. de Budberg essayait de traduire, en la devançant, l’irritation de son maître, n’était guère de nature à changer la manière de voir de M. de Manteuffel : aussi le ministre prussien laissa-t-il espérer le concours de la Prusse aux mesures de médiation diplomatique auxquelles la France et l’Angleterre préparaient déjà l’Allemagne.

Quoique dans ce temps-là deux nuances de l’opinion prussienne fussent hostiles à la France ou défavorables à son gouvernement, l’une que nous avons déjà fait connaître, celle du parti de la croix, l’autre, celle du parti libéral, cependant la conduite de la diplomatie russe à Constantinople, l’invasion des principautés, le premier manifeste de l’empereur Nicolas, produisirent bientôt dans tous les rangs du parti libéral un mouvement contraire à la Russie. Parmi les diverses sections du parti libéral en Prusse, la plus importante par la valeur des hommes qui sont à sa tête et par son influence dans les chambres est celle que l’on appelle le parti constitutionnel modéré, ou, d’après le nom de l’un de ses chefs, le parti Bethmann-Hollweg. L’héritier présomptif, le prince Guillaume de Prusse, frère du roi, passe pour partager les idées que ce parti représente dans le parlement prussien, et M. de Manteuffel, vers le temps dont nous parlons, paraissait disposé à s’allier avec ses principaux membres. Le parti Bethmann-Hollweg se déclara hautement contre la Russie. Ses vues sur le rôle qui convenait à la Prusse dans la crise européenne laquelle on touchait étaient développées dans la Feuille hebdomadaire de Prusse, son organe habituel. Il n’est pas sans intérêt de les reproduire ici pour montrer les préoccupations particulières qui s’unissaient alors chez les meilleurs esprits prussiens aux idées anti-russes, préoccupations dont plus tard nous retrouverons souvent les traces. Voici comment on peut les résumer.

«La Prusse doit-elle s’unir à la France et à l’Angleterre ? Non, parce que la Prusse retirera de la défaite de la Russie autant d’avantages que si elle s’était mêlée de la querelle, et qu’elle évitera les dangers que lui ferait courir le triomphe de cette puissance. Pourrait-on citer l’exemple du cabinet de Londres pour engager celui de Berlin à contracter une alliance étroite avec la France ? Non, parce que cette alliance peut-être si dangereuse, il serait moins facile à la Prusse qu’à l’Angleterre de s’en retirer; et d’ailleurs si cette dernière se voit forcée de recourir à la France, c’est la conséquence de la fausse politique qu’elle a suivie à l’égard de l’Allemagne et de la Prusse en 1848 et 1849. Que faut-il donc faire dans les circonstances actuelles ? Doit-on protester contre la violation des traités, donner à la Turquie opprimée son appui moral, refuser son concours aux injustes prétentions de l’empereur Nicolas ? Oui. Ce que nous devons surtout, c’est profiter de la circonstance pour nous soustraire aux