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Or, dans les commencemens de la guerre d’Orient, la jalousie de l’Autriche inspirait à Berlin des prédictions que la fermeté de l’empereur François-Joseph et de ses ministres a promptement démenties. Quelques hommes d’état prussiens assuraient d’un air railleur et avec une pitié dédaigneuse que l’Autriche subirait le joug de la reconnaissance vis-à-vis de la Russie, et n’oserait pas se joindre aux puissances occidentales. Quand ils parlaient de l’occupation des principautés par les Russes, « sans doute, disaient-ils, il y a là en jeu des intérêts allemands; mais, cela regarde bien plus l’Autriche que nous : nous ne sommes pas limitrophes. » Et ils ne cachaient pas une sorte de joie maligne à savourer d’avance l’atteinte et l’humiliation que l’occupation des principautés passivement soufferte allait, suivant eux, porter à la puissance autrichienne.

Le cabinet de Berlin n’aurait pas été probablement bien fâché de pouvoir couvrir sous cette paralysie trop tôt annoncée de l’Autriche sa propre inaction. Regarder les événemens, se tirer d’affaire avec de bonnes paroles et ne se compromettre dans aucun acte, telle est sans doute l’attitude qu’il eût préférée, et dont il eût aimé à rejeter sur l’Autriche la responsabilité et la déconsidération; mais dès que les principautés eurent été envahies par les Russes, l’Autriche inquiète, donnant aux puissances occidentales des assurances qui dépassaient celles de la Prusse, vint troubler les illusions du cabinet de Berlin, et appela elle-même à Vienne, par la réunion de la conférence, l’action concertée des quatre puissances. Le seul fait de la constitution de la conférence était un acte menaçant pour la politique russe; on en comprenait la gravité à Berlin. Une maladresse de M. de Budberg vint heureusement au secours du gouvernement prussien. C’était une des tactiques habituelles et assez puériles du ministre russe, pour agir sur le roi et M. de Manteuffel, que de faire valoir sans cesse aux dépens de la Prusse l’exemple de l’Autriche. M. de Manteuffel et ses collègues étaient déjà fort blessés de la façon dont M. de Budberg s’exprimait tout haut et partout sur la satisfaction que causait à l’empereur Nicolas l’attitude de la cour de Vienne. « Sa conduite en toute cette affaire et ses procédés à notre égard, disait-il à qui voulait l’entendre, sont au-dessus de tout éloge. » Quand les ministres prussiens apprirent un peu à l’improviste que l’Autriche se rangeait du côté de Paris et de Londres, ils s’empressèrent donc de prendre malicieusement au mot M. de Budberg; ils entrèrent dans la conférence et s’unirent à l’Autriche pour tenir comme elle vis-à-vis de Pétersbourg « une conduite au-dessus de tout éloge. »

La participation de son gouvernement à la conférence de Vienne rendit M. de Manteuffel plus hardi. Il gémit de l’avortement de la