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bourdonnant, qui s’agite autour des grandes cours germaniques, corps diplomatique des états secondaires, qui jusque-là pensait suivre en chœur la politique autrichienne et croyait garder le ton et la mesure en appuyant de ses mouvemens, de sa voix, de ses vœux, de ses prophéties, la politique russe, ne comprenait plus rien à la situation, et se demandait avec confusion et anxiété où allaient donc les quatre puissances. On dit que le roi de Prusse, lorsqu’il eut donné son consentement à M. de Manteuffel, ne put cacher son émotion, tant une résolution dont il comprenait la nécessité et devant laquelle il ne reculait pas lui coûtait à prendre. On ajoute que, pour en atténuer l’effet à Pétersbourg, il se hâta d’écrire à l’empereur Nicolas une lettre remplie de considérations religieuses et de pieux conseils.

Plusieurs faits qui furent à cette époque connus du monde politique à Berlin laissent voir ce qui se passait alors dans l’esprit de Frédéric-Guillaume IV. Le roi commençait évidemment à comprendre la gravité de la crise. Quand il considérait toutes les difficultés qui s’accumulaient sur l’avenir de l’Europe, quand il mesurait celles qui allaient s’imposer à la Prusse, il ne pouvait s’empêcher d’en vouloir à l’auteur de tout ce trouble, et de condamner les prétentions de l’empereur Nicolas, origine de tout le mal. Il sentait bien en même temps que la question d’Orient ne pouvait être résolue que dans le sens où marchait la conférence de Vienne ; il voyait que chercher à contester les principes soutenus par la France et l’Angleterre et formulés dans les protocoles, ce serait manquer à la justice, au droit européen, aux intérêts de la Prusse, et appeler sur son gouvernement des dangers plus redoutables que ceux qu’il avait à craindre d’une résistance à la Russie. Malheureusement le roi de Prusse est si impressionnable, que, voyant et sentant les choses isolément et successivement, il lui est difficile de les embrasser dans leur ensemble, de les coordonner suivant leur importance, et d’en tirer une résultante fixe qui soit la règle invariable de sa conduite. De là les perplexités qui font quelquefois hésiter son jugement, souffrir sa conscience et vaciller sa politique. Ainsi les conclusions auxquelles l’amenait l’appréciation des prétentions russes étaient balancées dans son esprit, s’il faut en croire les indiscrétions du parti de la croix, par d’autres considérations ou erronées, ou secondaires, ou intempestives. Il blâmait, par exemple, l’empereur de Russie violant les traités contre la Turquie; mais aussitôt, entrant dans un ordre d’idées différent, il ne voyait plus que le côté religieux de la question d’Orient. Alors il s’éprenait contre la présence du mahométisme en Europe d’une ferveur de croisé, et tandis qu’il faisait signer par son ministre à Vienne des actes publics qui le liaient lui-même à la conservation de l’intégrité et de l’indépendance de la Turquie, il