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France ne s’y mêlait dans l’esprit de ce prince. Le père du roi actuel aimait la France. Il avait le goût de nos mœurs, de nos usages, de nos spectacles, de notre langue. Il était heureux lorsqu’il pouvait à son aise et avec raison louer ce qui se faisait chez nous, et lorsque nous lui fournissions pour ainsi dire la justification de ses préférences. Ses malheurs, qui l’ont rendu si intéressant aux yeux de ceux qui en ont été les instrumens, ne l’avaient rendu lui-même ni amer, ni injuste envers ceux par lesquels il avait souffert. Ennemi généreux, il demanda à Louis XVIII en 1815 le portrait de Napoléon qui était au corps législatif, et le fit placer dans le musée de Berlin, en face de la statue de César. Ceux d’entre nous qui connaissent les précieux témoignages qu’il a donnés de sa sympathie à la France après 1830 vénéreront toujours cette grave et douce figure. C’est par respect pour sa mémoire que nous protestons contre l’indigne abus qu’en ont voulu faire nos ennemis de Berlin. Non, ce n’est pas lui qui eût encouragé ni toléré la ridicule et sauvage aversion des hommes du parti de la croix contre la France.

Cependant, s’il faut dire toute notre pensée, quels que fussent les avantages de la convention projetée, dès qu’elle soulevait de tels orages dans l’esprit et dans la conscience du roi de Prusse, elle ne valait pas la peine qu’on en fît entre lui et nous une pierre d’achoppement. Les résultats de la convention eussent été de donner une sécurité à l’opinion européenne en lui montrant la persévérance de l’accord des puissances au début de la guerre dans laquelle deux d’entre elles allaient s’engager, d’avertir la Russie qu’il lui serait impossible de créer aux deux puissances allemandes une situation intermédiaire, et de lui enlever par là tout espoir d’obtenir désormais la sécurité qu’elle avait réclamée de ces puissances en leur envoyant les propositions présentées par le comte Orlof et par le baron de Budberg, enfin d’ouvrir peut-être les yeux à l’empereur Nicolas dans un moment où il pouvait encore s’arrêter honorablement, puisque la lutte n’était pas commencée. Mais, quelque intérêt qu’il y eût à obtenir ces résultats, il y avait un plus grand intérêt à ne pas jeter le roi de Prusse dans les bras du parti de la croix. Nous croyons que cette situation fut prudemment appréciée à Paris et que le gouvernement français s’abstint de pousser trop vivement le roi de Prusse sur la convention. Malheureusement la question prit un autre tour à Berlin; elle y devint le prétexte d’une lutte d’influences personnelles et de partis.

Nous avons déjà parlé de l’importance qu’avait prise récemment cette élite d’hommes éclairés, nationaux et constitutionnels, qui sont plus particulièrement les amis du prince de Prusse. Quand on étudie les ressorts de la cour de Potsdam, il ne faut jamais perdre de vue