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d’une façon toute spéciale quels en seraient les dangers. Deux fois déjà la Russie s’est inféodé la Prusse. A la paix de Tilsitt, elle s’est enrichie aux dépens de la Prusse, son ancienne alliée. Ses droits prohibitifs, son système vexatoire de douanes, les charges qu’elle fait peser sur la navigation de la Vistule, portent au commerce les plus grands préjudices. On ne saurait oublier l’hostilité avec laquelle elle a combattu la politique prussienne de 1850 et 1851 et le mouvement national des duchés de Slesvig-Holstein. Comment enfin ne pas tenir compte de l’antipathie que le peuple nourrit contre la Russie, antipathie qui, en dehors même de ces faits historiques, se fonde sur l’intolérance religieuse et les formes despotiques de son gouvernement ? »

Un fait heureux préluda à la discussion de l’emprunt au sein de la chambre. Le protocole auquel M. de Manteuffel avait fait allusion devant la commission, et qui devait remplacer la convention, se rédigeait à Vienne. Comme il reproduisait à peu près en entier l’acte auquel le roi avait si obstinément refusé sa signature, M. de Manteuffel s’attendait peut-être à des difficultés nouvelles de la part de ce prince; mais le roi donna son consentement sans observation. Le ministre télégraphia sur-le-champ au comte d’Arnim l’ordre de signer. Soit qu’il eût hâte de profiter de la conclusion de cette affaire pour s’en servir dans la discussion de l’emprunt, soit que, redoutant un retour offensif des partisans de la Russie auprès du roi, il lui tardât d’être armé de la force du fait accompli, M. de Manteuffel avait à peine expédié son ordre, qu’il redemandait par le télégraphe au comte d’Arnim si le protocole était signé. Cette impatience est un de ces petits traits qui peignent au vif la cour de Potsdam, et qui méritent d’être saisis au passage.

M. de Manteuffel ouvrit lui-même le débat. Il s’empressa d’informer la chambre de ce qui se passait à Vienne. « Je ne reviendrai pas, dit-il après un court préambule, sur ce qui se trouve dans le rapport de la commission. Je n’ajouterai qu’un fait dont je n’ai pu parler dans son sein parce que je ne le connaissais pas encore, c’est que les plénipotentiaires des quatre puissances réunis à Vienne ont arrêté un protocole constatant la communauté de leurs efforts, et que notre ministre à Vienne a été autorisé à le signer il y a deux jours. » Cette nouvelle fut accueillie par des applaudissemens presque unanimes. Arrivant au commencement de la discussion, elle suffisait pour donner aux engagemens du gouvernement vis-à-vis de la chambre et à l’adhésion de la chambre, manifestée par le vote de l’emprunt, le sens le plus précis et le plus correct. Malheureusement, par complaisance pour le parti de la cour, M. de Manteuffel jeta du louche sur une situation si simple. Le roi entendait que le vote eut