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circonstance ils ne faisaient, suivant leur usage, que prêter leur propre acrimonie à un souverain dont l’âme affectueuse repousse loin d’elle toutes ces amertumes.

Nous pourrions prolonger ce récit; mais nous nous arrêterons là aujourd’hui, après avoir répondu cependant à une question bien naturelle : — Quelle était à cette époque l’attitude des puissances occidentales vis-à-vis de la Prusse ?

Les cabinets de Paris et de Londres ne pouvaient sans doute ignorer, ni voir sans déplaisir les mouvemens intimes de la cour de Potsdam. La chute de leurs amis, le triomphe auprès du roi Frédéric-Guillaume d’un triumvirat tel que celui que formaient le maréchal de Dohna, le général de Groeben et le général de Gerlach, étaient certainement de nature à exciter leurs légitimes défiances. Mais cela se passait dans une sphère où ils n’avaient pas qualité pour intervenir. C’était une affaire intérieure qui échappait à leur compétence. Le roi de Prusse, à ses risques et périls, était maître, après tout, de retirer ou de donner sa confiance à qui bon lui semblait. Le roi n’était lié envers la France et l’Angleterre que par ses engagemens extérieurs, par les actes auxquels il s’était associé dans la même mesure qu’elles. Maintien de l’intégrité et de l’indépendance de l’empire ottoman, entrée de la Turquie dans le concert européen, condamnation des prétentions de la Russie, qui étaient l’origine de la guerre, promesse de ne pas traiter avec l’empereur Nicolas en dehors des trois autres puissances représentées à la conférence de Vienne, tels étaient les points sur lesquels le roi de Prusse avait pris la même position strictement obligatoire que les puissances maritimes. La France et l’Angleterre avaient fait, il est vrai, un pas de plus. Comme il convient à deux puissantes nations qui ne peuvent sans se déconsidérer laisser bafouer leurs déclarations publiques, elles soutenaient maintenant les armes à la main les principes proclamés à Vienne et mis en péril par l’agression armée de la Russie. Exigeaient-elles que la Prusse les imitât tout de suite ? Non. La Prusse venait de contracter des obligations précises envers l’Autriche par le traité du 20 avril; et l’accomplissement loyal de ces obligations, par une transition plus lente et plus conforme, si l’on veut, aux antécédens, aux intérêts et à la situation de l’Allemagne, conduisait au but pratique poursuivi par la France et l’Angleterre. Que la Prusse conformât sa conduite à l’esprit qui avait animé la conférence, qu’elle se gardât, par des actes contraires à cet esprit et par de fausses démarches, d’encourager les illusions et de seconder les manœuvres de la Russie, qu’elle exécutât enfin fidèlement son traité avec l’Autriche, voilà ce que la