Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/980

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrivâmes près d’une fontaine où des jeunes filles puisaient de l’eau. A notre approche, toute la bande s’enfuit effarouchée. Nous avions pris nos fusils de chasse, pensant trouver des perdrix ou des lièvres ; mais à la vue d’un gibier plus aimable, je proposai à mes amis une partie de chasse à courre. Les jeunes filles montaient un sentier rapide, au sommet duquel était leur village. Une d’elles, moins leste que les autres, se vit sur le point de tomber dans les mains des corsaires et poussa des cris aigus. Pendant ce temps-là, ses compagnes répandaient l’alarme dans le village. Quinze ou vingt femmes armées de fourches et de bâtons s’avancèrent en vociférant des menaces ; un coup de fusil que je tirai à vingt pieds au-dessus de leurs têtes les mit en déroute complète ; nous les suivîmes en bon ordre jusqu’à une petite place, au milieu de laquelle s’élevait un figuier. J’y établis mon quartier-général, et le village se trouva pris d’assaut.

Un vieillard, qui savait quelques mots d’italien, nous fut envoyé en parlementaire. Je commençai par déclarer que nos intentions étaient pacifiques ; mais, au lieu d’éclaircir le malentendu, je parlai avec l’arrogance d’un vainqueur, et je demandai qu’une députation vînt nous faire des excuses. Le parlementaire s’en alla en grondant et ne reparut plus. Quelques Arabes, revenus des champs, avaient pris leurs carabines. Un coup de feu parti du haut d’un toit fît voler en l’air mon chapeau. Pour nous mettre en sûreté, il fallut forcer l’entrée d’une maison. L’ennemi nous y assiégea, et après une demi-heure de combat, où la mousqueterie résonna sans interruption, le siège fut levé. Nous avions blessé légèrement deux Arabes avec notre plomb de chasse. Notre dessein n’étant pas de conquérir l’île de Zerbi, je proposai à mes amis de battre en retraite. La troupe des pirates traversa le village et gagna le bord de la mer, en chantant cette marche militaire du divin maestro Verdi…

Ici le narrateur entonna le chœur des Lombardi d’une voix de stentor.

— Par malheur, reprit don Cornelio, lorsque notre navire eut quitté le rivage, on tira sur nous du haut de la colline, et une balle m’atteignit à l’épaule. Je revins à Palerme fort souffrant de ma blessure et un peu inquiet des suites de mon équipée. Pippino Castri s’établit près de mon lit et me prodigua les soins les plus tendres et les remontrances les plus éloquentes. Il me rappela les prédictions de la zingara et me fit promettre d’être plus sage à l’avenir, ce qu’on obtient facilement d’un homme affaibli par les saignées et la tisane. Cependant les habitans de Zerbi se tinrent cois, pensant qu’ils n’obtiendraient pas justice de chiens de chrétiens, et je ne fus point poursuivi. Cette aventure ajouta un nouveau lustre à ma réputation.