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est souillée par les laveuses albanaises ; l’emplacement de l’Académie se vend par lots ; les murs du Lycée soutiennent le talus d’un fossé ; les sommets du Lycabette et de l’Anchesine sont rongés par d’infatigables mineurs, et la poudre fait sauter leurs cochers de marbre, qui roulent jusque dans la plaine au bruit de continuelles détonations. Le temple de Jupiter olympien est une aire à battre le blé ; la colline des Nymphes voit dresser la guillotine, et leur grotte est un charnier. Ne pouvait-on choisir à la future capitale une autre place ? ne pouvait-on l’asseoir au bord de la mer, sur les hauteurs de Munychie ou du Pirée, au lieu de la jeter dans le fond d’une vallée malsaine, derrière l’Acropole, qui écarte la brise du large, cette fraîche haleine des étés ? Ne pouvait-on laisser Athènes déserte, silencieuse, inviolable, comme Pompéi, un municipe de la Campanie, qui ne doit qu’à sa ruine son immortalité ? Pompéi est resté le sanctuaire de la vie antique, tandis qu’Athènes est déjà une ville banale, avec des rues tirées au cordeau, des maisons semblables à nos maisons. Les agens de la police et les fiacres y circulent ; les uniformes allemands s’y promènent à côté des toilettes françaises ; on parlera bientôt d’omnibus et d’éclairage au gaz, et un grossier matelot a le droit de comparer avec mépris la ville de Périclès au chef-lieu de son département : voilà le fruit de la civilisation !

Pauvres Grecs, qui naguère étaient exaltés avec enthousiasme, que célébraient tant d’illustres lyres, que l’Europe entière voulait soutenir, comme une mère soutient les premiers pas de son enfant. Aujourd’hui on les condamne sans pitié, il n’est plus permis de les défendre, il est de mode de les insulter : voilà les retours de l’opinion !

Si la Grèce s’est détachée un instant des intérêts de l’Occident, si elle a été entraînée par ses tendances religieuses et par des promesses mensongères, si elle s’est trop bien souvenue de Navarin, la répression a été prompte, facile, efficace. La question politique se trouve donc écartée, et les événemens de ces derniers mois sont oubliés ; mais le mal remonte plus haut. Nous sommes volontiers, en France, dédaigneux, injustes même, à l’égard des autres peuples ; au moins devrions-nous sentir ce qui est dû aux faibles, je pourrais dire aux vaincus ! Depuis longtemps déjà des paroles cruelles ont été prononcées contre les Grecs ; ces paroles se répètent, elles ont cours, l’esprit les marque d’une empreinte qui reste et qui persuade : on a ri, le moyen de n’être pas convaincu ! Un âge d’homme nous sépare de la guerre de l’indépendance grecque. Il est dans l’ordre des choses qu’une génération raille ce que respectait la génération précédente ; ce que nos aînés vantaient, nous devons nécessairement le dénigrer. Cependant, lorsque nos aînés eux-mêmes récusent leur titre de philhellènes,