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qui savent parfaitement le français ; élevées à Londres, à Munich, à Paris, elles ont sans cesse les regards tournes vers l’Europe pour copier ses modes, ses ridicules, ses vices et même ses révolutions. Là, vous trouvez, dans des proportions singulièrement réduites, les intrigues, les dissipations, les scandales de nos grandes cités, là aussi des caractères honorables, d’aimables esprits, des plaisirs du bon goût ; comme de juste, ce sera l’exception. Là, nos diplomates ont puisé le mépris des hommes, nos satiriques leurs traits sanglans, nos touristes leurs anecdotes, qui parfois rappellent les médisances de la province, et ne méritent guère plus de crédit. Je le répète pourtant, est-ce bien là le peuple grec ? Songe-t-on que la moderne Athènes s’est formée à peu près comme l’ancienne Rome ? C’était un refuge, je ne dis pas pour les bandits, mais pour les ambitieux, les oisifs, les spéculateurs, les exilés ; ils accouraient de l’Orient et de l’Occident, afin de tenter la fortune. Ils se confondaient avec les véritables Grecs, que leurs besoins, leurs droits ou le choix du gouvernement appelaient dans la jeune capitale. Il faut bien y joindre quelques klephtes qui avaient fait leur soumission, un certain nombre de députés élus à coups de fusil, des palikares à la jupe ondoyante qui n’avaient pu se résoudre à devenir laboureurs. Toutefois je compte exactement les étrangers, et je vois que dans la société athénienne, objet de vos sarcasmes, dans cette aristocratie de fraîche date qui vous est seule connue, les Athéniens, les Grecs fils du sol libre, sont en minorité, de même qu’à Sparte, au temps de Xénophon, ce qu’il y avait de plus rare, c’était un Spartiate.

Vous voulez observer sérieusement la race grecque, mesurer sa chute ou interroger son avenir, auquel il faudra peut-être, quand ses progrès l’en auront rendue digne, rattacher l’avenir de l’Orient ? Sortez d’Athènes après avoir appris la langue moderne des Hellènes ; parcourez la Grèce à petites journées, au pas de votre cheval, logeant chaque soir chez les anciens du village ou chez le prêtre à la longue barbe qui ramène sa charrue en souriant à ses petits-enfans ; étudiez des mœurs simples, mais sans grossièreté ; écoutez un langage qui ne manque ni de clarté ni de charme ; comparez les pâtres de l’Arcadie avec les cultivateurs de la Messénie ou de l’Argolide, les chevriers du Parnasse avec les vignerons de Corinthe et de l’Achaïe ; cherchez le commerce à Patras et à Calamata, les marins à Andros et à Milo ; laissez-vous porter d’île en île par ces barques rapides qui rappellent les descriptions d’Homère ; ne voyez point partout un mélange de sang vénitien et albanais ; les familles vénitiennes dépérissent au sommet des vieilles citadelles ; les Albanais habitent des villages distincts, ils ont gardé leur costume, leur front rasé et leur langue inintelligible. Quand vous aurez accompli un studieux pèlerinage