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exprime le nombre d’années que l’enfant qui vient de naître a chance de vivre ; mais cette chance n’a pas été établie seulement pour le nouveau-né : on a calculé la vie moyenne de chaque âge, et on l’a naturellement trouvée très différente suivant les âges, en raison de l’inégalité des dangers que nous courons aux diverses époques de notre existence et du nombre des années déjà écoulées. La vie moyenne, avons-nous dit, est en France de 39 ans et 8 mois au moment de la naissance ; mais elle augmente d’abord rapidement jusqu’à l’âge de 4 ans, où elle atteint son maximum, qui est de 49 ans et 4 mois, puis ensuite elle va en diminuant sans cesse. D’après Deparcieux, elle est à 20 ans de 40 ans et 3 mois, à 30 ans de 34 ans et 1 mois, à 40 de 27 ans et 6 mois, à 50 de 20 ans et 5 mois, à 60 de 14 ans et 3 mois ; enfin une personne de 70 ans a droit d’espérer de vivre encore 8 ans et 8 mois ; une de 80 ans, 4 ans et 8 mois, et enfin une de 90, un an et 9 mois seulement. Ces chiffres montrent qu’à mesure qu’une personne avance en âge la chance de vivre s’accroît pour elle de 3 ou 4 ans par période de dix années jusqu’à 70 ans, et de 6 ou 7 ans pour les deux dernières périodes.

Les anciens croyaient qu’en dehors de l’enfance la vie court plus de risques dans certaines années que pendant les autres, et cette idée se rattachait chez eux à l’influence qu’ils attribuaient aux nombres. Ils appelaient critiques ou climatériques les années combinées par échelles régulières de nombres : celles qui revenaient de 7 en 7, celles surtout qui étaient le produit du nombre 7 par un nombre impair, étaient à leurs yeux les plus dangereuses. Comme on le pense bien, la statistique n’a pas continué ces spéculations. Un physiologiste moderne, Burdach, a cherché de son côté à démontrer une alternance régulière dans le degré de salubrité des années. D’après lui, la mortalité serait plus grande pendant les années impaires que dans les années paires. À l’appui de cette opinion, il a dressé une table qui s’étend de la seconde année de la vie à la cent neuvième, et qui présente des oscillations très sensibles d’année en année ; mais il n’indique pas à quelle source il a puisé ses chiffres. C’est évidemment là le développement d’une idée théorique du même ordre que les vues des anciens sur les années climatériques.

Les conditions de la vie variant considérablement sur les différens points de la surface de la terre, on doit s’attendre à voir les lois de la mortalité, se modifier suivant les pays. C’est en effet ce qui a lieu. M. Christophe Bernouilli a réuni, il y a quinze ans, les vies moyennes de plusieurs des peuples de l’Europe, et a trouvé entre elles des différences notables. D’après ce mathématicien, c’est l’Angleterre qui aurait la suprématie sur les autres nations : la vie moyenne y dépassait 38 ans. Ensuite vient la France, à laquelle il accordait 36 ans et demi de vie moyenne, puis le Hanovre (35 ans et 4 mois), puis le Slesvig-Holstein (34 ans et 7 mois) et la Hollande (34 ans). À un degré inférieur se placent le duché de Bade (32 ans et 9 mois), le royaume de Naples (31 ans et 7 mois), la Prusse (30 ans et 3 mois) ; enfin le Wurtemberg (30 ans) et la Saxe (29 ans) occupent le dernier rang.

Si l’on compare les tables de mortalité dressées dans différens pays depuis le commencement du XIXe siècle, on remarquera aussi des inégalités assez frappantes à tous les âges, mais principalement de 60 à 90 ans[1]. M. Benoiston

  1. En France, sur 1,000 naissances, 364 personnes atteignent 60 ans, d’après Demonferrand. Ce nombre n’est que de 314 dans le canton de Vaud suivant Muret, de 272 en Belgique suivant Quetelet, de 270 en Angleterre, de 197 à Berlin selon Casper, et à Vienne il n’atteignait que 91 dans les tables déjà anciennes de Süssmilch. Sur la même quantité de naissances, 230 personnes arrivent en France à 70 ans, 178 en Angleterre, 170 en Belgique, 168 en Suisse, 112 à Beilin, et enfin 44 à Vienne d’après Süssmilch. On compte en France sur 1,000 naissances 77 vieillards de 80 ans, en Angleterre 74, en Belgique 59, en Suisse 46, à Berlin 36, à Vienne 14. Enfin les nonagénaires sont dans la proportion de 9 en Angleterre, 8 en France, 6 en Belgique, 5 en Suisse, 3 à Berlin et 1 à Vienne. D’après les talles de Wargentin, qui remontent au siècle dernier, la Suède tiendrait le milieu entre la Suisse et la Belgique. Nous savons en outre qu’en Russie sur 1,000 morts il y en a 49 de 70 à 80 ans, 24 de 80 à 90, et 9 au-dessus de 90. Ces divers résultats n’ont pas tous été obtenus à la même époque, et par conséquent ne sont pas de tout point comparables ; mais il est probable que les variations que le temps a pu y apporter ne modifieraient que légèrement les précédens rapports.