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LES FLEURS DU MAL.

Jusqu’à ce que l’Oubli les jette dans sa hotte
Pour les rendre à l’Éternité ! »

J’ai souvent invoqué cette lune enchantée,
Ce silence et cette langueur,
Et cette confidence horrible chuchotée
Au confessionnal du cœur.


V.

L’AUBE SPIRITUELLE.


Quand chez les débauchés l’aube blanche et vermeille
Entre en société de l’Idéal rongeur,
Par l’opération d’un mystère vengeur
Dans la brute assoupie un ange se réveille.

Des cieux spirituels l’inaccessible azur,
Pour l’homme terrassé qui rêve encore et souffre,
S’ouvre, et s’enfonce avec l’attirance du gouffre.
Ainsi, chère déesse, être lucide et pur,

Sur les débris fumeux des stupides orgies,
Ton souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,
À mes yeux agrandis voltige incessamment.

— Le soleil a noirci la flamme des bougies ;
— Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,
Ame resplendissante, à l’immortel soleil !


VI

LA VOLUPTÉ.


Sans cesse à mes côtés s’agite le Démon ;
Il nage autour de moi comme un air impalpable.
Je l’avale et le sens qui brûle mon poumon,
Et l’emplit d’un désir éternel et coupable.

Parfois il prend, sachant mon grand amour de l’Art,
La forme de la plus séduisante des femmes,
Et, sous de spécieux prétextes de cafard,
Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes.