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de décliner la protection, et en tout autre moment ce serait certes pour la politique de la France et de l’Angleterre l’occasion de faire sentir utilement son influence. Sur l’autre bord de la Plata, les deux fractions ennemies de la République Argentine se sont arrangées, comme on sait, pour vivre séparées et en paix. Le traité signé au mois de décembre dernier entre l’état de Buenos-Ayres et le général Urquiza, comme chef du reste de la confédération argentine, a été ratifié, et les ratifications ont été échangées dans les termes les plus sympathiques, ce qui ne veut point dire assurément que Buenos-Ayres pardonne à Urquiza, et que le général Urquiza pardonne à Buenos-Ayres. C’est un divorce amiable par impuissance de se réduire mutuellement. Tout irrégulière qu’elle soit, cette situation n’a rien de défavorable à Buenos-Ayres. D’abord c’est la paix, et la paix suffit pour ranimer tous les intérêts. Aussi, outre le développement commercial, qui s’est singulièrement accru, le gouvernement de Buenos-Ayres tourne-t-il aujourd’hui toute son attention vers l’immigration et la colonisation, qu’il se montre disposé à favoriser de tout son pouvoir.

Pour le moment, il n’est point, dans la Plata et même dans l’Amérique du Sud tout entière, d’état plus occupé de querelles de tout genre que le Paraguay. Si la république paraguayenne a tardé un peu à entrer dans l’histoire, si elle est restée pendant quarante ans dans le silence, elle fait du bruit aujourd’hui plus que ne le voudrait peut-être celui qui la gouverne, le président Lopez. Le Paraguay n’a rien moins que deux affaires fort sérieuses à vider, et voilà ce qu’il a gagné jusqu’ici à ouvrir ses frontières. Sa première querelle est avec le Brésil ; elle date déjà de quelques années, elle a trait à des questions de délimitation, à des rapports de commerce et elle a fini par tirer quelque gravité du départ du chargé d’affaires impérial à l’Assomption. Le cabinet de Rio-Janeiro a pensé que le meilleur procédé diplomatique était l’envoi d’une escadre dans les eaux du Paraguay. Cette escadre a remonté en effet le Parana sous les ordres du commandant Ferreira de Oliveira, muni, à ce qu’il semble, d’instructions pour négocier ou pour agir militairement. Le président Lopez n’a point laissé de s’émouvoir et de se préparer à se défendre, bien qu’une longue résistance ne fût guère possible sans doute. Arrivé cependant au point dit de Tres Boccas, le commandant Ferreira a fait savoir à l’Assomption, par l’intermédiaire de l’officier chargé de la police du fleuve, qu’il avait des pouvoirs pour régler pacifiquement toutes les questions pendantes entre le Paraguay et le Brésil. Cette nouvelle a dû singulièrement soulager le président Lopez, lequel n’en a pas moins conservé toute sa dignité, et a invité le commandant Ferreira à se rendre à l’Assomption sur son bâtiment, après avoir toutefois fait retirer le reste de l’escadre brésilienne des eaux du Paraguay, ce qui a été accepté. Le plénipotentiaire brésilien s’est donc rendu auprès du président Lopez, et il est présumable qu’il sortira de ces négociations quelque traité avantageux pour le Brésil. Mais il reste pour le Paraguay une bien autre difficulté. On n’a pas oublié peut-être la question Hopkins, les graves démêlés du consul américain de ce nom avec le gouvernement paraguayen. Le commandant du bateau à vapeur le Water-Witch, qui emportait le consul, s’était livré avant