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favorable. On croyait le drame fini, il n’était qu’interrompu. En réalité, l’insurrection reste toujours jusqu’ici le grand instrument des évolutions politiques de l’Espagne. C’est le grand ministre au département de l’imprévu. Et, comme pour rendre plus palpable cette assimilation de la vie publique espagnole à une guerre, quels sont les chefs que choisissent les partis ? Ce sont des soldats, — Narvaez, Espartero, O’Donnell, — personnifications successives de toutes les situations, de toutes les tendances, des opinions anciennes ou des opinions qui cherchent à se former.

Il y a un autre trait qui n’est pas moins saillant et auquel la dernière révolution donne un degré de vérité terrible : c’est que les partis dominans, une fois qu’ils sont placés au pouvoir par les circonstances, ne succombent point sous l’effort agressif de leurs adversaires naturels. Ils commencent par se détruire eux-mêmes. Ils mettent un cruel et bizarre acharnement à se démembrer, transportant la guerre civile dans leur propre sein, se décomposant avec une inexorable logique et laissant la société sans direction. Alors l’insurrection se lève, comme pour achever de trancher ce fil usé et à demi rompu auquel tient l’existence du pays, et la face des choses est changée moins par la force réelle des oppositions extrêmes que par l’impuissance du gouvernement. Mouvement factice de la vie politique, prépondérance des élémens militaires, dissolution de toutes les forces dirigeantes de la société, — de ces traits divers, quel est celui qui manque à la révolution espagnole de 1854, à cette révolution nouée par la main des généraux, consommée par l’insurrection, préparée surtout par le suicide du parti modéré ? Ce suicide est à la fois le triste dénoûment d’une période digne d’une meilleure fin et le prologue des événemens actuels. Qu’on remarque cependant, comme un dernier témoignage de la vitalité et de la puissance des idées conservatrices, qu’il a fallu trois ans et quatre ministères pour mener à bout ce suicide, dont la moralité est une révolution.


I

Le parti modéré, dans ses nuances diverses, a gouverné pendant dix ans l’Espagne ; il ne l’a pas gouvernée seulement, il l’a constituée, organisée et transformée. Les conditions d’un régime régulier et sensé, il les a réalisées, affermissant la monarchie sans affaiblir le principe des garanties libérales dans la constitution de 1845, couronnant la hiérarchie administrative par un conseil d’état, disciplinant l’anarchie locale par les lois sur les députations provinciales et les municipalités, chassant l’esprit de sédition de l’armée, assurant