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pour y aller étudier l’organisation militaire de l’Autriche, ne servait pas peu à augmenter la confusion. Le président du conseil espagnol avait voulu gagner du temps par des élections ; la force des circonstances le ramenait à une série d’actes qui constituaient un coup d’état en détail, auquel il ne manquait que son véritable nom et une dernière résolution.

C’est l’honneur de M. Bravo Murillo de s’être arrêté dans cette voie, de n’avoir point même cherché à isoler la reine de ses conseils les plus naturels pour enlever à sa confiance une décision irréparable. Par elle-même, la reine Isabelle n’avait point l’idée d’agir sans le concours des cortès, mais, chose étrange, après l’explosion de toutes les haines des partis, sait-on qui prêtait en ce moment le plus d’autorité aux scrupules constitutionnels ? C’est la reine. Christine. Le sentiment connu de la reine-mère faisait la faiblesse de M. Bravo Murillo, la force indirecte et secrète des oppositions qui devaient la proscrire, et l’encouragement de tous ceux qui cherchaient une issue dans ces extrémités, une transaction entre la dignité du pouvoir et le principe des institutions libérales. Cette issue, cette transaction, on pensa l’avoir trouvée par la retraite de M. Bravo Murillo et l’avènement d’un ministère moins engagé ; on n’avait trouvé qu’un expédient momentané, précaire et impuissant.

À considérer cette crise sous un certain aspect, il semble que les incidens qui se succèdent résument en eux-mêmes toutes les difficultés de la situation de l’Espagne ; ils n’en sont que l’apparence, ils ne sont que l’expression d’un fait plus profond qu’on voit poindre sous le général Narvaez, qui se développe après lui, et que la chute de M. Bravo Murillo vient montrer sous un jour saisissant : c’est la dissolution acharnée de toutes les forces politiques de la Péninsule et l’impossibilité croissante de trouver des élémens suffisans pour recomposer un pouvoir. La réforme constitutionnelle jetée entre les partis, les actes discrétionnaires accumulés depuis quelque temps, l’exil du général Narvaez, les concessions de chemins de fer dont on commençait à murmurer, étaient sans doute des questions épineuses pour un cabinet nouveau. S’il n’y avait eu que ces questions cependant, un gouvernement loyal et ferme pouvait les trancher ; elles étaient insolubles parce qu’il n’y avait de place que pour un pouvoir sans point d’appui au milieu de l’exaspération des esprits et des ressentimens personnels. De là le caractère des deux ministères qui se succédaient à peu d’intervalle, — l’un ayant pour chef le général don Federico Roncali, l’autre le général don Francisco Lersundi, — et qui n’avaient que quelques mois de vie. La politique modérée ne vivait plus que d’une ancienne impulsion, à vrai dire, et à mesure que cette impulsion s’épuisait, les ministères duraient moins. Ce