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tenant ses corps rapprochés et serrés pour ainsi dire dans les liens d’une vigilance incessante.

Le seul côté favorable du combat de Vicalvaro, c’est qu’il avait été une épreuve en apparence victorieuse pour la discipline de l’armée et pour l’esprit de la population civile. Parmi les troupes du gouvernement, il n’y avait pas eu une désertion ; Madrid était resté un jour entier sans garnison, et rien n’avait remué. Cela veut-il dire que le général O’Donnell n’eût point de partisans dans Madrid, que le parti progressiste et le parti révolutionnaire plus extrême n’existassent point ? Les uns et les autres existaient ; mais les amis d’O’Donnell étaient des banquiers, des négocians, des hommes politiques qui ne font point en général de barricades. Quant aux révolutionnaires de toutes nuances, ils raisonnaient avec la perspicacité de gens qui sentent que leur force ne vient point d’eux-mêmes. Ils se disaient que s’ils tentaient un soulèvement pendant que le général O’Donnell était aux portes de Madrid, il leur arriverait de deux choses l’une : ou ils seraient battus, et alors ils porteraient les premiers le poids d’une répression probablement terrible ; ou ils seraient victorieux, et alors ils auraient vaincu pour O’Donnell, qui resterait le maître de la situation à la tête de ses soldats et du reste des troupes. Ils gagnaient tout à attendre au contraire. O’Donnell s’éloignait, le gouvernement était réduit à s’affaiblir pour aller chercher l’insurrection en Andalousie, le pays avait le temps de s’émouvoir, et les esprits s’animaient. Le gouvernement se méprit complètement sur la réalité de cette situation. Ce calme auquel le pays avait de la peine à s’arracher le trompa en redoublant sa sécurité et sa hardiesse. Il se faisait illusion à lui-même et cherchait à inspirer la confiance aux autres. Un instant même il laissait croire que le général Narvaez venait de lui offrir son épée. La vérité est que le général Narvaez, retiré à Loja, n’avait rien offert au gouvernement pas plus qu’il ne voulait répondre à l’appel pressant que le général O’Donnell lui adressait à deux reprises. Le duc de Valence était de ce petit nombre d’hommes tels que MM. Pidal, Mon, Martinez de la Rosa, que les circonstances avaient jetés dans l’opposition depuis deux ans, mais que leurs instincts politiques, autant que leur situation, éloignaient de tout mouvement violent, et qui gémissaient attristés en voyant les événemens prendre un cours invincible. Le ministère s’enivrait de sa propre confiance et de ses bulletins. Il ne se réveilla qu’en apprenant coup sur coup que le régiment de cavalerie de Montesa, envoyé contre les rebelles, s’était débandé, que la garnison de Valladolid s’était prononcée, et que celle de Barcelone, le capitaine-général en tête, adhérait au soulèvement d’O’Donnell : alors il disparut littéralement, entraînant avec lui le gouvernement tout entier.