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de progrès au sein d’une nation attardée. La république n’a de valeur que comme un appoint d’agitation, si l’on nous passe ce terme.

Le projet le plus caractéristique, à coup sûr, qui ait surgi comme un des élémens de la crise actuelle, c’est celui d’une révolution dynastique amenant la maison de Bragance à Madrid par la réunion de l’Espagne et du Portugal, idée séduisante en apparence, mais au fond aussi chimérique véritablement que la république elle-même, — tant elle est peu fondée sur une notion exacte des rapports présens des deux pays ! l’Espagne et le Portugal se touchent par le territoire, par les intérêts, par les mœurs, par plus d’une tradition commune, et cependant il n’y a peut-être pas deux peuples entre lesquels il y ait moins de relations. Les Portugais vont à Londres, à Paris, en Allemagne, ils ne vont point en Espagne ; les Espagnols ne vont point en Portugal. Les familles des deux pays ne s’unissent point entre elles. Les rapports de commerce les plus considérables sur la frontière sont en vérité ceux qu’entretient la contrebande. L’intimité morale et intellectuelle n’est pas moins absente. L’an dernier, on cherchait à Lisbonne les œuvres d’un des premiers poètes de l’Espagne ; on ne les trouva jamais, et le plus court fut encore de les demander à Paris. Les dispositions mutuelles des deux royaumes peuvent assez bien se traduire dans cette anecdote du Portugais qui s’était laissé tomber dans un puits, et qui, voyant passer un Castillan, lui dit : « Castillan, Castillan, si tu me tires de là, je te fais grâce de la vie ! » Il n’est point certain que le jour où dom Pedro eût été proclamé à Madrid, les Portugais à leur tour n’eussent proclamé son frère, le duc de Porto, pour leur souverain. Le gouvernement de Lisbonne lui-même était loin de se prêter à des plans qu’il n’ignorait pas, et c’est en partie pour ce motif que le roi, lors du voyage qu’il faisait au printemps de 1855, évitait de passer par l’Espagne. Quelque brillante que fût la chimère, les conseillers de dom Pedro voyaient avec sagesse que, roi légitime et aimé du Portugal, leur jeune souverain ne serait à Madrid qu’un usurpateur et un étranger. Quant à la France et à l’Angleterre, leur politique était toute tracée à l’égard de ces plans qui changeaient les conditions de deux pays, et le cabinet britannique, nous l’avons dit, avait nettement repoussé les tentatives faites auprès de lui avant la révolution espagnole. Depuis, la même idée de l’éviction dynastique de la reine Isabelle a pris à un certain moment une autre forme sans obtenir plus de succès. Il s’agissait cette fois, non plus de réunir les deux royaumes de la Péninsule, mais d’appeler au trône de l’Espagne le père du roi de Portugal, le régent dom Fernando, comme le fondateur d’une dynastie nouvelle. Nous n’inventons rien, qu’on en soit assuré. Que restait-il encore contre la royauté d’Isabelle ? Il restait la régence, — une régence