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trop ordinaire de croire qu’un gouvernement discrédité peut mettre la violence sous le couvert du succès. Paris fut occupé militairement, et tandis que l’on tapissait Notre-Dame des drapeaux pris à l’ennemi, six magistrats, arrachés des bras de leurs familles, étaient jetés en prison. Un peu plus tard, l’ancien garde des sceaux Chateauneuf était enlevé dans sa maison de Montrouge, et Chavigny, alors gouverneur de Vincennes, allait prendre place au donjon de sa propre forteresse. C’était ainsi que le gouvernement répondait à l’article dit de la sûreté publique, délibéré avec tant de chaleur dans la salle de Saint-Louis, article qui, entre tous les autres, avait surtout excité l’indignation d’Anne d’Autriche, parce qu’il aurait en effet arraché au pouvoir ce qui était devenu depuis deux générations son arme usuelle et préférée.

On sait comment le peuple, ameuté aux cris de la servante du vieux Broussel, s’empara de tous les postes occupés par les troupes du maréchal de La Meilleraye, et comment il se fit que le coadjuteur de Paris, descendu dans la rue avec la pensée d’arrêter le mouvement, se trouva conduit, par les dédains de la cour, à en devenir l’instigateur et le chef. Il n’y a rien à apprendre sur cette marche moitié triomphale, moitié sinistre, du parlement, à travers les rues barricadées, pour aller au Palais-Royal exiger, au nom des masses plutôt qu’au sien, la liberté immédiate des prisonniers et l’engagement de travailler sans retard au redressement de tous les griefs. Personne n’ignore comment la régente et son ministre s’enfuirent nuitamment de Paris, afin de préparer le siège de cette ville, où l’insurrection, servie par toutes les forces de la bourgeoisie et du peuple, parvint à organiser une résistance égale à la grandeur du péril. On sait par cœur tous les incidens de cette lutte de quatre années qui embrasa une notable partie du royaume, et finit par prendre à Bordeaux, en se greffant sur l’esprit provincial, toujours vivant dans la Guienne, des proportions plus formidables que dans la capitale. La trahison de M. de Turenne, l’intervention du grand Condé en faveur de la cour dans la première période de cette crise, les exigences altières de ce prince, sa détention et sa présence à la tête des années espagnoles, qu’il conduit contre Turenne, rendu à lui-même et à la France, les variations des acteurs, tellement soudaines et tellement fréquentes, qu’elles donnent à ce drame sanglant tout l’imprévu d’une pièce à tiroirs ; les premiers germes de la liberté politique s’étiolant dans les boudoirs, et de généreuses inspirations aboutissant aux calculs les plus sordides ; ce tableau, formé d’épisodes aussi décousus que les idées, aussi mobiles que les haines ou les amours, ne saurait être encadré dans les bornes d’une étude sans perdre ce qui en constitue la couleur et la vie. Je me propose d’ailleurs de