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des princes pour leur mise en liberté, et trahir les hommes de la vieille fronde, qui le trahissaient à leur tour. On vit un cardinal, premier ministre, déployer toutes les ressources de la souplesse, épuiser toutes les protestations de l’humilité, pour rétablir des rapports avec les hommes qu’il venait d’offenser mortellement, et offrir la liberté à Condé en même temps qu’il s’engageait, dans un sens tout contraire, avec le coadjuteur, qui, de son côté, se jouait du cardinal. De tels procédés révolteraient, sans nul doute aujourd’hui, quiconque a traversé les affaires sous l’éclat de la publicité, et pourtant ils ne blessaient ni tant de femmes spirituelles lancées dans l’intrigue avec l’emportement de la passion, ni tant de gentilshommes qui portaient dans les affaires publiques des mœurs dont ils auraient rougi dans les affaires privées.

Ce fut durant ces négociations, suivies simultanément avec trois partis opposés, que fut cimentée entre Mazarin et la princesse palatine une liaison qu’explique l’affinité de ces deux natures, et dont le cardinal a laissé dans son testament un éclatant témoignage. Les rapports secrets entre le ministre et les agens du parti des princes prisonniers nous ont été racontés, comme une chose parfaitement simple en elle-même, par des esprits fort distingués. Au premier rang de ceux-ci figure Pierre Lenet, qui, dans le cours de ses missions en Bourgogne et en Guienne pendant la guerre civile, déploya des qualités politiques rares dans ce temps-là. L’étroite union de Mazarin avec le prince de Condé contre le duc d’Orléans et le parti de la vieille fronde, tel était le programme politique de Lenet. Le duc de La Rochefouchauld était entré un moment dans la même pensée. Pendant que le coadjuteur, qu’il chercha bientôt après à faire assassiner entre deux portes dans le palais du parlement, sortait de chez Mazarin, caché sous un manteau à l’espagnole, l’amant de Mme de Longueville y entrait sous un déguisement non moins complet, et Mazarin, une lanterne sourde à la main, ouvrait lui-même, « au risque de se livrer au meilleur ami de M. le Prince, qui pouvait si facilement le tuer. » Mme de Motteville, qui rapporte ce détail, ajoute, avec une admiration qu’on n’aurait pas la pensée d’exprimer aujourd’hui, qu’il n’en fut rien, et que la fidélité fut égale des deux côtés. Quelquefois ce vaste imbroglio, où tout était fourberie, mensonge et déguisement, et dont il était l’acteur principal, étonnait jusqu’à Mazarin. Alors il en exprimait quelque émotion devant son impassible interlocuteur, à quoi l’auteur des Maximes répondait : Tout arrive en France, mot dont un siècle de révolutions n’a pas encore épuisé la profondeur.

Résolu à tenter les dernières chances d’une réconciliation avec Condé, Mazarin se trouva bientôt conduit à une extrémité qui, grâce