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est désormais acquise à l’histoire, et « que ce fut moins encore par la nécessite de défendre, dans la personne d’un ministre persécuté, les prérogatives méconnues de l’autorité royale, que pour ne pas livrer à ses ennemis l’homme qu’elle aimait, qu’Anne d’Autriche soutint avec une fermeté si persévérante les périls de la lutte où elle s’était engagée. De sa faiblesse vint sa force. »

Pleinement rassuré par les sentimens personnels de la reine, Mazarin ne craignait point que Letellier, ou Servien, ou de Lyonne lui-même, malgré les injures dont il l’accable[1], aspirassent à s’établir pour leur propre compte au pouvoir qu’ils avaient charge de lui garder. Il ne tarda pas d’ailleurs à comprendre, avec sa sagacité pénétrante, que les divisions et l’imprévoyance de ses adversaires allaient enfin lui présenter des chances bien meilleures que toutes celles qu’il s’était si laborieusement ménagées par tant de pratiques inutiles. C’étaient en effet les princes et les seigneurs, demeurés à peu près maîtres des affaires après la retraite de Mazarin, qui, par le décousu de leurs plans et les périls d’une politique anti-nationale, devaient replacer en quelque sorte de leurs propres mains au sommet de toutes les grandeurs l’homme qu’ils en avaient naguère précipité aux applaudissemens de la France.


V

La prison du prince de Condé avait été pour lui un stimulant plus qu’une école, et sa mise en liberté, arrachée par la puissance de l’opinion, avait redoublé sa hautaine confiance en lui-même. Les bouillonnemens de la jeunesse, de l’héroïsme et de la vengeance montaient incessamment de son cœur à sa tête, et l’état de minorité semblait autoriser à ses yeux des procédés que sa fidélité envers le trône aurait repoussés comme coupables, si ce trône n’avait été occupé par un enfant. Rentré à Paris avec les allures d’un triomphateur, Condé ne tarda pas à faire peser sur le gouvernement intérimaire constitué par le cardinal le poids d’une oppression dont Mazarin, du fond de son exil, signalait chaque jour les progrès et les périls à la régente, mais sans lui fournir malheureusement aucun moyen de les conjurer. Le premier prince du sang exigea avec une hauteur péremptoire le renvoi immédiat des sous-ministres Letellier, Servien et Lyonne. On dut lui promettre le gouvernement de Guienne avec la lieutenance générale de cette province et la forte citadelle de Blaye pour le duc de La Rochefoucauld, l’homme principal de sa faction ; il fallut attribuer en même temps le gouvernement de Provence au prince

  1. Lettres du 18 mai, 30 juin, 12 septembre 1651.