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sur des tombeaux. On y voit la spina, mur qui partageait le cirque dans sa longueur, les colonnes, les édicules ou chapelles qui ornaient la spina, les œufs qu’on y posait et dont on enlevait un à chaque tour, les obstacles qu’on plaçait au-devant des chars, pareils à ceux qu’on a soin de ménager aux concurrens d’un steeple-chase, et dans un de ces bas-reliefs, jusqu’à des hommes qui apportent, comme dans nos spectacles, des fruits et des rafraîchissemens.

La colonne isolée est d’invention romaine : c’est l’obélisque romain. Je sais bien que la première et la plus belle, la colonne Trajane, fut élevée par Apollodore, qui était Grec ; mais la pensée de cette tour de marbre, enveloppée jusqu’à son sommet d’une spirale de bas-reliefs représentant des combats, des passages de fleuves, des sièges de villes, des rois à genoux, cette pensée est romaine, — une pensée romaine exécutée par un Grec de génie.

Si le théâtre est grec, l’amphithéâtre est romain. Les combats des gladiateurs peuvent venir de Capoue et avoir une origine étrusque ; mais les monumens construits pour ces représentations cruelles n’ont point cette origine. Longtemps les gladiateurs combattirent dans le Forum. Le plus ancien amphithéâtre est celui de Statilius Taurus, bâti dans les premières années de l’empire.

Les Grecs avaient d’autres jeux ; leurs jeux publics, c’étaient les nobles exercices de la palestre, les chants, les danses, la poésie de Sophocle et de Pindare. En vain un roi de la Macédoine, pays à demi barbare, Persée, voulut-il les accoutumer à l’horreur que leur inspiraient ces boucheries si chères aux Romains, cette horreur si bien exprimée par les belles paroles de ce Grec qui s’écria en voyant élever un amphithéâtre dans sa ville natale : » Renversez donc les temples élevés à la Piété et à la Miséricorde ! » L’amphithéâtre est bien l’œuvre des Romains ; ils ont apporté à cette œuvre de sang toute leur puissance, ils y ont mis toute leur grandeur. La plus magnifique ruine de Rome, le Colysée, est un amphithéâtre.

Aujourd’hui les amphithéâtres ne laissent rien voir de ce qui en faisait l’horreur ; depuis longtemps le sol a bu le sang des victimes, bien des fois l’herbe et les petites fleurs du printemps ont repoussé sur ce sol que foule aujourd’hui le pas distrait du promeneur, ou sur lequel s’agenouillent pieusement les fidèles. Il faut cependant, pour sonder toute la profondeur de la férocité de Rome, avoir le spectacle du divertissement qu’elle préférait. N’en reste-t-il donc d’autres traces que quelques lignes indifférentes des historiens romains, les Actes des martyrs, l’ampoule pleine de leur sang qu’on retrouve avec la palme auprès de leurs os presqu’en poussière dans un coin des catacombes ? Non, nous avons une peinture hideuse et vraie des plaisirs de l’amphithéâtre : c’est une mosaïque où ils sont figurés et qui se voit au casin de la villa Borghèse. Cette mosaïque