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le mythe bizarre, mais expressif d’Ocnos tressant la corde qu’un âne dévore à mesure derrière lui. Les sujets mythologiques choisis pour les tombeaux expriment la pensée de la destruction, de la disparition : ce sont des combats de guerriers et d’amazones, c’est l’enlèvement des Leucippides par Castor et Pollux, c’est Apollon et Diane immolant les enfans de Niobé. Ce dernier sujet, souvent reproduit dans les bas-reliefs funéraires, peut se rapporter particulièrement aux trépas causés par quelques maladies, les maladies contagieuses attribuées depuis Homère aux traits d’Apollon, et celles des femmes qu’on disait blessées par les flèches de Diane. Dans toutes ces représentations funèbres ne figure guère la pensée d’une autre vie ; on s’étonne qu’il en soit ainsi quand on songe au caractère religieux des Romains ; mais les Romains étaient plus superstitieux encore que religieux, et ce qu’ils avaient de religion était pour ce monde plus que pour l’autre. Ils craignaient d’offenser les dieux, surtout parce que les dieux pouvaient les punir ici-bas par des défaites ou des contagions. L’idée des peines et des récompenses futures était très vague. L’âme après la mort était elle-même quelque chose de vague et d’indécis, une ombre flottante aux confins de l’existence et du néant ; la vie présente, au contraire, forte, pleine, active. Les vivans ne pouvaient donc se soucier beaucoup de ce qui se passerait dans la région ténébreuse et ignorée des mânes. Les terreurs même de l’enfer étaient incertaines. L’antiquité ne connaissait de châtiment éternel que pour quelques grands coupables. Virgile a placé aux enfers diverses classes de criminels, tels que les spoliateurs du bien d’autrui, les traîtres (il place les suicides dans les Champs-Elysées), mais Virgile a fait entrer dans son sixième livre des idées philosophiques qui n’étaient point celles de la foule. Le peuple craignait les mauvais présages, offrait des sacrifices aux dieux pour les rendre propices à ses moissons, à ses troupeaux, à sa famille ; il n’allait pas plus loin. Les pontifes qui prescrivaient les cérémonies n’enseignèrent jamais la morale religieuse, ni même la religion ; on adorait les dieux, on les redoutait, on n’était pas dirigé par une idée arrêtée du sort qui attend les bons et les mauvais après cette vie ; aussi les bas-reliefs funéraires n’y font-ils presque jamais allusion. Il y en a un pourtant au Vatican qui représente les trois seuls damnés célèbres de l’antiquité, Sisyphe, Ixion, Tantale. Si l’on veut, on peut admettre que le crime d’Oreste et les furies qui le poursuivent, représentés fréquemment sur les tombeaux, contiennent quelque menace de la punition du crime après cette vie, quoique les furies n’aient tourmenté Oreste que dans ce monde. Cependant les anciens, je l’ai reconnu, avaient une vague croyance à l’existence ultérieure. C’était un pressentiment et un doute plus qu’une croyance. Si quelque chose reste de nous après la mort, telle est la formule qui revient toujours