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circonstances étant données, on arrive à des résultats rigoureux. Il n’en est pas de même de la distribution des richesses : ici la nature s’efface ; c’est la main de l’homme qui a le dessus. Les choses sont créées, il s’agit d’en user, d’en disposer, et les procédés varient à l’infini suivant les lieux et les temps, les traditions et les coutumes, l’intelligence des races et le degré d’avancement du régime social. Voilà le problème dont M. John Stuart Mil ! se préoccupe ; il énumère et passe en revue tous les modes de distribution des produits de la terre et du travail, et non-seulement ceux qui ont été adoptés et appliqués par des civilisations positives, mais ceux même qui n’ont point eu la sanction des faits et doivent être relégués dans le domaine des civilisations hypothétiques.

Dans cet ordre d’appréciations, c’est le principe de la propriété individuelle qui se présente d’abord, et à sa suite viennent les déviations récentes auxquelles il a donné lieu, c’est-à-dire le communisme et le socialisme sous leurs différentes formes. M. John Stuart Mill écarte ces lubies, mais avec une indulgence, des ménagemens et des réserves qui étonnent de la part d’un esprit aussi judicieux. Puis, après avoir conclu que de bien longtemps encore l’économiste n’aura point à porter sérieusement son attention sur d’autres sociétés que celles où prévalent la concurrence entre les individus et la propriété particulière, l’auteur suit la propriété dans ses évolutions et ses métamorphoses, pour arriver naturellement au salaire, qui est une autre forme de la distribution des richesses. Dès l’abord, M. Mill réfute les préjugés populaires qui se rattachent au salaire, il réduit à leur juste valeur quelques prétendus remèdes dont on a fait naguère grand bruit, par exemple le minimum légal et la limite assignée aux heures de travail ; il prouve facilement que ces moyens artificiels attentent, sans profit pour personne, à la liberté des contrats et ruinent l’industrie sous prétexte d’enrichir les agens qu’elle emploie. C’est pour lui une tâche non moins aisée que de démontrer combien sont vaines d’autres combinaisons où l’on pourvoit à l’insuffisance du salaire par un secours paroissial ou administratif, quelles charges ces combinaisons imposent aux communes et au trésor public, avec ce seul et fâcheux résultat de troubler les conditions du travail et de propager des habitudes d’indolence au sein des classes vouées à des métiers manuels. Enfin, après avoir recherché les diverses formes du salaire, constaté les différences qui existent soit dans sa quotité, soit dans sa répartition, reconnu les désordres qu’y occasionnent les vicissitudes de l’industrie, M. Mill conclut, en véritable disciple de Malthus, qu’il n’y a à de tels maux qu’un remède, et c’est l’augmentation du taux des salaires par la diminution du nombre des naissances : remède impuissant et