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alors elles sont exprimées avec un tour parfait et inimitable à cause de sa simplicité limpide. Ménandre, par la grâce et la douceur de son génie, devait trouver des mots d’inspiration ; il y en a beaucoup qu’on pourrait appeler les proverbes de la bienveillance, et c’est pour cela même sans doute qu’ils nous ont été heureusement conservés. « Vivre, dit-il, c’est ne pas vivre pour soi seulement. » — « Si, en donnant un secours à quelqu’un, vous le lui reprochez, vous versez de l’absinthe sur le miel attique. » — « À celui qui est malade du corps, il faut un médecin ; à celui qui est malade de l’âme, il faut un ami. » — « l’ami qui travaille pour son ami travaille pour lui-même. » — « Soyez reconnaissant surtout envers le bienfaiteur absent, en sa présence vous y sembleriez un peu obligé. » — Nous pourrions rapporter nombre d’extraits empreints de ce caractère de cordialité qui s’étend sur toutes les classes, sur les pauvres, sur les esclaves ; point d’envie, point de morgue, mais aussi point de ces haines vigoureuses pour le vice dont parle Molière, et qui auraient relevé d’une ombre fortifiante les traits d’un tableau dont la lumière était peut-être trop douce et trop égale. Voilà ce que nous pouvons recueillir sous ce rapport de l’ensemble des fragmens de Ménandre, un sentiment plus humain, plus personnel et plus indulgent en toutes choses. Ces grandes associations politiques étant relâchées ou détruites, les hommes cherchaient à se reprendre les uns aux autres par des liens qui tenaient de plus près à leur nature commune, et les rapports civils, qui n’étaient, pour ainsi dire, autrefois que des dépendances des grands intérêts collectifs de la cité, en devenaient la base, qui par là s’élargissait, et trouvait un appui plus solide dans l’ordre moral déposé au fond de notre âme.

Mais souvent l’inspiration de Ménandre s’élève à des idées si sérieuses, qu’on ne s’attendrait nullement à en trouver de pareilles dans la comédie. Il jetait de fréquens regards sur la vie humaine considérée en elle-même, et c’est alors que ses pensées étaient comme ombrées d’une teinte de mélancolie qui d’ailleurs s’allie assez souvent au génie comique, quand il est en même temps contemplateur. C’est alors aussi qu’on entrevoit mieux dans Ménandre ce désenchantement de toutes choses, et des plaisirs même dont on s’enivre, qui se manifeste dans les sociétés mourantes. On dirait qu’au milieu de ces vertiges des passions tendres et folles qu’il aimait à peindre, il aimait aussi à faire apparaître l’image du néant où elles allaient en tourbillonnant s’engloutir. Tantôt le dédain du monde, l’ennui de ce qui s’y passe, une résignation forcée, tantôt une soumission mieux calculée au destin, le désir de profiter le mieux possible de ce qui fuit si vite, telles sont les pensées qui se présentent dans ces passages philosophiques. Écoutez cette sombre leçon qu’il fait donner à un de