Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne peut manquer de lui assigner un rang très élevé dans l’histoire de la sculpture moderne. Tous ceux en effet qui voudront prendre la peine de l’étudier reconnaîtront en lui un esprit ingénieux et pénétrant, un goût sûr et un égal respect pour la tradition et pour l’invention. Je n’ai pas à revenir sur les transformations de son talent, je crois les avoir caractérisées assez nettement. L’ensemble de ses travaux démontre avec la dernière évidence que le culte de l’idéal peut très bien se concilier avec l’expression fidèle de la réalité. Quoique cette vérité soit prouvée depuis longtemps, il faut en rajeunir le souvenir toutes les fois que l’occasion se présente. Or il me semble que la vie entière de Fogelberg peut servir de commentaire à cette affirmation. Dans ses trois manières, il est resté fidèle aux mêmes doctrines ; mais à chaque œuvre nouvelle son esprit devenait de plus en plus clairvoyant, son imagination plus hardie. Sans déserter la tradition, il inventait plus librement. Aussi les transformations de son talent nous offrent un perpétuel enseignement. Il n’y a dans ses œuvres ni soubresaut, ni solution de continuité, ni caprice, ni repentir, ce qu’il avait voulu au début, il le voulait encore quand son esprit, mûri par l’expérience, avait embrassé l’histoire entière de son art. Sa main était devenue plus habile, et son imagination ne s’était pas attiédie. Il voyait plus nettement le but qu’il s’était proposé, son dessein n’avait pas changé, et quand la mort l’a surpris, il était en mesure, sinon de contenter toujours, au moins de charmer les esprits les plus délicats. Parmi les sculpteurs modernes, il y en a bien peu dont la vie et les œuvres offrent la même unité. Or, quand le but est bien choisi, l’unité dans le travail est une forme de la puissance.


GUSTAVE PLANCHE.