Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les rayures : c'est ce qu'on appelle les chargemens à balles forcées; on obtint ainsi la diminution du vent. L'idée vint plus tard, on ne sait comment, de donner une forme courbe à ces rayures et de les pratiquer en hélices, au lieu de les creuser en lignes droites, comme on l'avait fait d'abord; on reconnut que ces rayures en hélices imprimaient à la balle forcée un mouvement de rotation normal. Les deux principales causes de l'incertitude du tir se trouvaient donc neutralisées, et l'on obtint des armes ainsi construites et chargées une justesse très supérieure à celle que peuvent donner les armes à canon lisse, chargées avec la balle libre.

On se demandera comment cette supériorité, une fois constatée, ne fut pas suivie d'une transformation immédiate de l'armement. C'est que les armes rayées présentaient pour la guerre de graves inconvéniens : on ne pouvait ni s'en servir convenablement comme pique, ni faire feu sans danger dans les rangs à cause de la longueur réduite qu'il fallait donner au canon; le chargement était lent, compliqué, exigeait un outillage de maillet, de poire à poudre, de calepin, qui s'égarait ou se détruisait facilement; enfin, pour conserver la justesse, il fallait que la balle reçût une vitesse initiale moins grande, il fallait une charge de poudre plus faible, et la portée était sensiblement réduite. Pour des troupes de ligne, la supériorité de justesse était loin de compenser de semblables imperfections; le fusil conservait l'avantage.

Cependant, même dans ces conditions, les armes rayées, employées dans une proportion restreinte, pouvaient rendre certains services et avaient leur place dans l'armement d'un grand état militaire. En France, dès la seconde moitié du XVIIe siècle, on en munit quelques corps de cavalerie légère qu'on appelait carabins : de là le nom de carabine; c'est du moins l'étymologie la plus généralement acceptée. Mais les carabines avaient surtout été promptement adoptées par les chasseurs; elles s'étaient répandues dans les pays de montagnes : les Suisses, les Tyroliens, s'en servaient contre les chamois, et s'exerçaient au tir dans des réunions qui sont encore aujourd'hui des fêtes nationales. Le gouvernement autrichien fut le premier à profiter de ce goût de certaines populations pour les armes de précision : il organisa des bataillons de chasseurs tyroliens exclusivement destinés au service de troupes légères, et ces partisans firent assez de mal aux Prussiens pour que le grand Frédéric se vît forcé d'avoir, lui aussi, son bataillon de chasseurs armés de carabines. Des corps de même espèce furent créés en France dans le courant du XVIIIe siècle sous des noms divers, mais avec des durées éphémères; quelques-uns cependant, la légion de Grassin entre autres, acquirent une belle réputation. La révolution survint. Nos phalanges républicaines brillaient surtout par leur valeur et leur