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finances, des décisions administratives. On peut y suivre l’existence de chacune de ces associations d’ouvriers jour par jour, pas à pas pour ainsi dire. Ce qui frappe d’abord, surtout au début, ce sont les changemens survenus dans leur sein. Six mois ne s’étaient pas écoulés que déjà elles comptaient soixante-quatorze démissions, quinze exclusions, cinquante-deux admissions nouvelles, onze changemens de gérans. Telle association avait porté quatre noms, telle autre trois ; toutes avaient éprouvé dans leur personnel des variations sensibles. N’était-ce pas la preuve d’un vice originel, d’un mal caché ? L’examen des livres et des écritures de commerce confirme cette opinion. Dans le cours des deux premières années, les inventaires constatent parmi ces associations des situations bien diverses. On voit les unes dévorer leur capital sans fournir de travail utile ; tout se résume pour elles en des salaires payés aux associés et des produits qui demeurent invendus. Les autres écoulent quelques marchandises, mais en si petite quantité, que les frais généraux pèsent sur les prix de vente, de manière à les rendre onéreux pour l’établissement. Dans l’un et l’autre cas, la ruine est au bout, plus ou moins prochaine, mais inévitable. Il est des associations où les profits et les pertes se balancent, d’autres enfin qui soldent leur inventaire par un bénéfice important. Ici encore pourtant il convient de se défendre des illusions et de ne pas tenir ces chiffres pour plus concluans qu’ils ne le sont en réalité. Il y a dans ces écritures deux points qui se dérobent à tout contrôle sérieux : la valeur des marchandises qui restent en fin d’inventaire et la solidité des créances sujettes à recouvrement. Qui ne sait à combien de mécomptes donne lieu cette double évaluation, même dans le commerce et l’industrie ordinaires ? Pour se prémunir contre les fictions et les erreurs, on a soin de s’y tenir en-deçà des résultats apparens. Or ces ouvriers avaient-ils pris les mêmes précautions, et n’était-il pas naturel de penser qu’avec une entière bonne foi, ils s’en étaient tenus aux données les plus favorables ?

D’ailleurs voici un dernier fait plus concluant encore et qui n’est pas susceptible d’interprétations équivoques. La majeure partie des contrats de prêt avait été passée dans les six premiers mois de 1849. Vers le milieu de 1850, c’est-à-dire un an après, l’administration fit dresser un état des révocations de prêt. C’était, à nommer les choses par leur nom, la table mortuaire des associations qui avaient succombé dans le courant de douze ou quatorze mois. Rien de plus triste et de plus accablant que ce document. Il constate que, dans cette courte période, dix-huit établissemens ont, pour divers motifs, cessé d’exister : dix à Paris, huit dans la province. Les dix établissemens de Paris avaient reçu une somme de 142,000 francs ; les huit établissemens de province, une somme de 447,000 francs, en