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pût commettre le parlement anglais. Elle ne doit aboutir, comme nous le disions dans les temps anciens, qu’à une faiblesse ou à une folie. Si elle avorte, comme cela est bien possible, le parlement aura fait beaucoup de bruit pour rien, et aura donné un spectacle d’impuissance peu propre à le relever dans l’opinion. Si elle est poussée jusqu’à ses conséquences logiques, elle portera un coup funeste à l’esprit de la constitution et aura jeté les fondemens d’un comité de salut public et d’un futur tribunal révolutionnaire. Nous ne sommes point étonné de l’importance qui a été attachée en Angleterre à l’établissement de ce comité d’enquête, car il soulève des questions où sont engagées l’existence même et l’essence du gouvernement constitutionnel. C’est la confusion de toutes les fonctions qui doivent rester séparées, c’est l’absorption du pouvoir exécutif par le pouvoir législatif, et l’histoire est là pour avertir que tous ces comités exceptionnels aboutissent au despotisme.

Dans le cas présent, le comité offre d’autres dangers. Il est appelé à scruter la conduite d’une expédition entreprise par deux puissances, dont l’une peut tomber sous sa juridiction, mais dont l’autre ne saurait certainement la reconnaître. La guerre est faite à deux, et par deux pays dont les gouvernemens reposent sur des principes opposés. Nous ne savons pas trop s’il y a entre les deux incompatibilité d’humeurs, mais assurément il y a incompatibilité de systèmes. Le système du gouvernement français n’est pas de donner à tout le monde le secret de ses affaires, au contraire. Peut-être le gouvernement anglais voudrait-il bien pouvoir en dire autant, mais en Angleterre on dit tout et on écrit tout, et on n’empêchera personne de parler ni d’écrire. Si donc il convient au comité de la chambre des communes de mettre sur la sellette les généraux et les amiraux anglais, et tous les fonctionnaires militaires ou civils, c’est l’affaire de l’Angleterre ; mais pour se défendre, il faudra bien que généraux, amiraux et autres divulguent des délibérations de conseils de guerre, ou des conventions, ou des discussions, ou des dissentimens qui ne sont pas destinés à la publicité, qu’en un mot ils disposent de secrets qui n’appartiennent pas qu’à eux seuls.

Le parlement anglais nous paraît donc s’être engagé dans une impasse où il ne peut ni avancer ni reculer sans un égal danger des deux côtes, et s’il se trouve dans cette situation embarrassante, il peut s’en prendre aux grands tacticiens qui se sont amusés à faire une crise ministérielle dans une des circonstances les plus critiques de l’histoire de leur pays. L’enquête a été l’arme avec laquelle lord John Russell a renversé un ministère dont il faisait partie ; cette arme a été retournée contre le nouveau ministère, dont il fait encore partie, et ce n’est que justice. Comme le magicien qui ne pouvait plus