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devrait appartenir au gouvernement représentatif, nous serons vaincus dans la lutte. Si par le patriotisme, par le raisonnement, par la discussion, nous ne savons pas réaliser cette unanimité que le despotisme sait toujours commander dans tous les temps et dans toutes les circonstances, alors le despotisme sera trop fort pour la liberté, et la morale des événemens qui se passent devant nous sera la démonstration de la faiblesse et des vices des gouvernemens libres et représentatifs… »

On sait comment se termina la crise et comment fut formé le nouveau ministère. On crut que lord Palmerston, porté au pouvoir par le consentement universel, allait commencer une nouvelle carrière ; mais pour cela il fallait qu’il eût la voie libre, et qu’il fût tout d’abord débarrassé du spectre de l’enquête. Il crut qu’il en aurait bon marché. Pour lui, l’enquête avait atteint son but, qui était de mettre lord Palmerston à la place de lord Aberdeen, et, ce but une fois atteint, il ne restait plus qu’à tirer l’échelle. Il faut dire que cette opinion de lord Palmerston était très excusable et très explicable, car elle était au fond celle de la majorité qui avait voté l’enquête ; mais cette fois encore le gouvernement et le parlement devaient être débordés, et l’impulsion du dehors devait les forcer à marcher. Dès le premier jour que lord Palmerston apparut dans sa nouvelle qualité devant le parlement, il fut clair qu’il ne serait pas de force à maîtriser la situation. Il se présentait pourtant avec cette aisance, cette bonne humeur, cette désinvolture qui sont les attributs de son caractère et de sa personne et les principaux élémens de sa popularité. Dans la manière dont il « introduisit » au public le personnel de son ministère, en faisant l’énumération des qualités qui distinguaient chacun de ses membres, il fut impossible de ne pas le comparer à un imprésario commençant une saison et faisant l’inventaire de sa troupe et de son programme. Il glissa légèrement sur sa propre personne, trop connue pour avoir besoin d’être présentée ; puis, après avoir exposé les difficultés qu’avaient rencontrées lord Derby et lord John Russell pour former une administration, il ajouta : « J’avais reçu les ordres de sa majesté dimanche à six heures du soir ; je fus assez heureux pour pouvoir, le mardi dans l’après-midi, annoncer à sa majesté que j’avais réussi. Le gouvernement actuel fut formé, et j’ai la confiance qu’il contient assez d’habileté pratique, assez de sagacité politique, assez de libéralisme d’opinion et assez de patriotisme et de résolution pour remplir la tâche qu’il a entreprise. Il y a au département des affaires étrangères l’habileté, l’expérience de mon noble ami lord Clarendon. J’ai été assez heureux pour m’assurer, au département de la guerre, les services de mon noble ami lord Panmure, dont vous connaissez l’habileté et l’énergie. J’ai pu