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comité d’enquête de la nation, et je ne connais point de limites qui puissent lui être imposées, excepté quand, dans un moment de mauvaise inspiration, elle empiète sur les fonctions du pouvoir exécutif… » Sir James Graham déclara ensuite qu’il avait toujours compris que le gouvernement s’opposerait à l’enquête, et qu’il n’avait demandé, en restant au ministère, qu’une seule assurance, celle que lord Palmerston continuerait fidèlement la politique extérieure de lord Aberdeen. Selon lui, l’enquête ne pouvait avoir que des résultats funestes pour les relations de l’Angleterre et de la France ; on ne pouvait la faire porter sur les opérations militaires anglaises sans toucher à ce qui concernait l’armée française. « Il dépendra, dit-il, de la prudence de quelques individus que les questions soient ou non renfermées dans les bornes nécessaires. Si malheureusement le côté de l’imprudence l’emporte, je n’hésite pas à dire que cette enquête met positivement en danger nos relations avec notre grand et puissant allié… Quelle est, dans la guerre, la principale condition de succès ? C’est l’unité de commandement… Mais quand il y a partage du commandement avec un allié, alors se présentent les relations les plus compliquées ; il y a nécessairement des différences d’opinion, nécessairement aussi plus ou moins de transactions réciproques, ce qui est toujours une cause de faiblesse. Dans la distribution des forces, il y a nécessairement une inégalité relative. Je ne veux pas en dire plus, et dans cette assemblée, la plus intelligente qui soit au monde, je suis sûr qu’il n’y a personne qui ne sente intérieurement les dangers que j’indique… »

Ce fut dans cette séance que M. Bright prononça une de ces harangues brûlantes et pathétiques qui font de lui le premier orateur de l’Angleterre d’aujourd’hui. Il prit acte de la déclaration que le nouveau ministère voulait poursuivre sérieusement les négociations de Vienne, et il adjura le gouvernement et la chambre de ne point y apporter d’obstacles. « Je ne dirai pas un mot, dit-il, de notre armée de Crimée. Il n’est pas un membre de cette chambre, pas un habitant de ce pays qui n’ait été navré de tout ce qu’il a appris, et dont nuit après nuit le sommeil n’ait été détruit, les rêves n’aient été absorbés par la pensée des angoisses et des souffrances de nos soldats. Ce que j’ai à demander au gouvernement, c’est si, dès que les bases des négociations auront été posées, on conviendra d’un armistice… » Ici quelques voix crièrent : Non, non ! et M. Bright reprit : « Je ne sais pas qui est-ce qui crie : Non ; mais je voudrais bien voir quelqu’un se lever et oser dire que le sang de deux cent mille créatures humaines déjà répandu dans cette lutte fatale n’est pas un suffisant sacrifice. Vous ne voulez pas conquérir de territoire, vous proposez des conditions que je ne refuse pas de tenir pour