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succèdent à mesure que l’empereur rapproche, ce changement subit de règne, les intrigues qui se croisent à l’intérieur tandis que les coalitions se resserrent au dehors, les délibérations du parlement anglais, les travaux du congrès de Vienne, les discussions des nouvelles chambres françaises, ce sont la les élémens que M. Villemain rassemble dans son récit avec un art expressif, à la fois vigoureux et délicat, plein de force et de nuances, mélant des portraits piquans à des conversations recomposées avec tant d’habileté qu’elles semblent naturelles. Le début même du livre de M. Villemain a une couleur originale et frappante. On est à la veille du 20 mars, et on se trouve dans le salon de la veuve de Lavoisier, de la comtesse de Rumford. Là se succèdent, en s’entretenant de l’événement unique et en cherchant à sonder l’avenir, tous ces hommes diversement connus : Lafayette, toujours imperturbable dans sa confiance ; Benjamin Constant, qui fait un manifeste contre l’empereur et qui sera demain à lui ; Cuvier ; le poète Lemercier, déroulant des inductions prophétiques ; le naturaliste Ramond au visage austère et à l’air puritain ; puis enfin Mme de Staël, qui va encore quitter la France. Que va-t-il arriver ? C’est le secret du lendemain, et demain l’empereur sera aux Tuileries. Ainsi s’ouvre le livre de M. Villemain par une sorte de prologue élégant et émouvant de cet orage de trois mois qui a laissé de si profondes traces dans notre histoire.

Le caractère particulier et terrible de cet épisode extraordinaire, c’est qu’il était évidemment une gageure contre l’impossible, c’est que toutes les situations étaient faussées, toutes les conditions politiques et morales obscurcies on interverties. Napoléon pouvait bien dire que le congrès de Vienne était dissous ; il pouvait annoncer la paix : il ne prouvait qu’une chose, c’est que la paix était dans le goût de la France, puisqu’il la lui promettait. Il n’ignorait pas au fond que c’était la guerre, que ce million d’hommes mis sous les armes par l’Europe allait refluer vers nos frontières ; or la lutte qu’il n’avait pu soutenir dans la plénitude intacte de sa puissance, pourrait-il la soutenir désormais ? À l’intérieur, il ne pouvait se dissimuler ce qu’il y avait de factice dans cet appareil représentatif qu’il créait. Vainqueur, il n’en avait plus besoin ; vaincu, cela ne pouvait l’arracher au naufrage. Les chambres elles-mêmes avaient l’instinct de cette alternative terrible où elles se trouvaient placées ; elles sentaient que, par une contradiction bizarre, leur annihilation était liée à une victoire de l’empereur, et que leur ascendant ne pouvait triompher que par la défaite ou par une paix impossible. De là une sorte de fatalité qui pesait sur tout le monde, et dont le dernier mot, le mot sanglant et terrible, est Waterloo, comme si le désastre dût égaler les merveilles de l’origine de ce règne nouveau. Cette tragédie des destinées de la France dans un moment si poignant, M. Villemain la montre avec un relief plein de force, et il n’est point jusqu’à cette lutte dernière entre la chambre des représentans réclamant l’abdication de l’empereur et Napoléon cherchant encore à se survivre, qui n’apparaisse dans ce récit comme une des scènes les plus émouvantes de cette série de catastrophes. Certes la reconstruction d’une telle époque a toujours son éloquence. C’est là peut-être qu’il faudrait chercher le secret de bien des événemens qui se sont succédé dans notre pays.

l’histoire politique aujourd’hui, bien qu’elle ait ses complications et ses