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montrer convaincu de l’innocence du kha-kan, et reprendre les négociations interrompues. C’est ce qu’on fit en effet par l’intermédiaire du patrice Athanase et du questeur impérial Cosmas, rendus moins confians par l’expérience. Au reste, le traité d’alliance fut aisé à conclure, tant le kha-kan se montra doux et facile sur les conditions ; il semblait n’avoir plus qu’un désir, celui d’effacer de la mémoire des Romains l’impression laissée par les derniers événemens. La paix fut donc jurée de part et d’autre. L’esprit des Romains se rassérénant peu à peu, on reprit les arméniens de la guerre d’Asie, avec moins de précipitation toutefois ; puis, quand toute crainte à l’égard du kha-kan se fut à peu près dissipée, ou fixa aux fêtes de Pâques de l’année 622 le départ de l’expédition.

On touchait donc au moment tant désiré : l’empereur s’y prépara, comme on se prépare à un acte solennel de religion, par la retraite, la prière et le jeûne. Il alla passer l’hiver de 621 à 622 hors de la ville, dans une solitude toute monacale, ne s’occupant que d’affaires, de pratiques dévotes et des derniers soins à donner à sa famille, qu’il aimait tendrement. Là, quand il réfléchissait, dans la méditation et le silence, aux chances de cette grande aventure où il jetait sa vie et la fortune du monde romain, et que la prescience de Dieu pouvait seule calculer, des doutes venaient parfois l’assaillir ; mais il les repoussait comme des tentations du démon. Parfois aussi les critiques du dehors, les moqueries des esprits sceptiques, arrivant jusqu’à lui, passaient sur son âme comme un fer chaud ; il se réfugiait alors à l’église, et, prosterné au pied de l’autel le front dans la poussière, il récitait avec larmes ces paroles du psalmiste : « Ne nous livre pas, ô mon Dieu, en risée à nos ennemis, et que l’infidèle n’insulte pas ton héritage ! » Il régla tout ce qui concernait le gouvernement de l’état pendant son absence ; son fils aîné, Héraclius-Constantin, fut établi régent sous la tutelle d’un conseil formé des hommes les plus éminens de Constantinople, et dont les principaux étaient le patrice Bonus, grand-maître des milices, et le patriarche Sergius, connus tous deux pour leur énergie et leur prudence. Avant de partir, il n’oublia point le kha-kan des Avars. Essayant d’élever ce barbare aux sentimens d’honneur dont lui-même était plein, il lui adressa une lettre touchante par laquelle il lui recommandait le jeune Héraclius-Constantin, le priant de se considérer comme le tuteur de ce cher fils, de le conseiller, de l’aider, de le protéger au besoin. « Les services que recevraient de lui à cette occasion la famille impériale et l’empire ne resteraient point sans récompense, » lui disait-il. Héraclius s’engageait à lui payer, lors de son retour, deux cent mille pièces d’or, et il appuya cet engagement par l’envoi d’otages choisis dans sa famille et dans celle du patrice Bonus. L’armée et la flotte