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à l’enfermer dans les défilés des montagnes où la lutte s’était transportée ; mais Héraclius déjouait toutes les combinaisons de leurs généraux : il les devançait dans les passages, les coupait par des marches rapides, les battait l’un après l’autre. On croyait le traquer dans le Taurus, il parcourait déjà les plaines du Tigre, et quand on le cherchait de ce côté, il surprenait et mettait en cendres les villes de l’Atropatène ou de l’Assyrie. Son armée, infatigable comme lui, ne laissait pas échapper un signe de mécontentement : presque gelée dans les neiges du Caucase, elle faillit mourir de soif dans les déserts de sable qui entourent l’Euphrate. La vie d’Héraclius, pendant ces rudes campagnes, n’était pas seulement celle d’un général, mais d’un soldat toujours occupé ou à frapper le premier coup dans la bataille, ou à soutenir l’assaut d’une masse d’ennemis acharnés sur sa personne. Il livra nombre de combats singuliers, força tout seul le passage d’un pont à travers les cavaliers qui le gardaient, fut blessé bien des fois et eut plusieurs chevaux tués Sous lui. On le reconnaissait dans la mêlée à ses bottines de pourpre, devenues pour l’ennemi un objet d’effroi : « Vois là-bas ton empereur, disait Schaharbarz à un transfuge romain ; c’est devant lui que nous fuyons ! » Les alliés de l’empereur ne lui donnaient guère moins d’embarras que ses ennemis : c’étaient toujours de la part des tribus du Caucase, que lassait une guerre fatigante et sans profit, des murmures qu’il fallait apaiser, ou des menaces d’abandon qu’il fallait prévenir. Un jour enfin vingt mille de ces amis incertains voulurent partir à la veille d’une bataille. Héraclius les congédia en présence des légions romaines sous les armes, sans que son visage en fût altéré : « Frères, dit-il à ses soldats, car c’est ainsi qu’il les appelait dans ses harangues, Dieu réserve le triomphe pour nous seuls. »

Cependant le kha-kan des Avars, attentif aux péripéties de la guerre de Perse, tramait sur les bords du Danube de nouvelles perfidies ; il n’avait pas tardé à se mettre d’intelligence avec Khosroës par l’intermédiaire du Sanglier royal. Les propositions de Khosroës furent celles-ci : le roi de Perse offrait au kha-kan le pillage de Constantinople, s’il voulait assiéger cette ville de concert avec lui ; une forte division de l’armée persane, conduite par Schaharbarz, se rendrait alors sur le Bosphore, près de Chalcédoine, et comme les Perses manquaient de vaisseaux, les Avars amène raient avec eux la flottille de barques qu’ils entretenaient sur le Danube, au moyen de quoi les troupes combinées pourraient, soit attaquer Constantinople par terre et par mer, soit opérer leur jonction sur la côte d’Europe. Quand on fut d’accord sur les principales conditions, on fixa le rendez-vous sur l’une et l’autre rive du détroit au mois de juin de l’année 626. Du reste ces négociations