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portait le costume d’impératrice, et que suivait un cortège d’eunuques et d’officiers richement vêtus. Les sentinelles, la prenant pour la sœur d’Héraclius qui venait proposer la paix au nom de son frère, lui ouvrirent les barrières du camp ; mais à peine eut-elle franchi le fossé qu’elle disparut, et que les Avars, comme frappés de frénésie, tournèrent leurs épées les uns contre les autres. Ces contes couraient de bouche en bouche, et sont restés dans l’histoire, où ils jettent quelque lumière sur l’esprit du temps et sur le mobile qui produisait au monde romain ses derniers héros. Une circonstance bizarre et qui semblait donner aux fables l’appui de la réalité, c’est que de toutes les églises de Blakhernes, la seule église de Sainte-Marie ne fut ni pillée ni incendiée, comme si un bras puissant en eût écarté la flamme et les Barbares. Le jour anniversaire de la délivrance de Constantinople fut consacré par une fête religieuse qui se célébrait le samedi de la cinquième semaine de carême.

Héraclius apprit ces bonnes nouvelles au fond de l’Assyrie, où il faisait une guerre ruineuse pour les Perses ; mais ses alliés khazars l’abandonnèrent quand ils furent repus de butin. Réduit à une poignée d’hommes et n’ayant plus qu’une seule ressource, celle d’aller rejoindre son frère, il se jeta dans les montagnes des Kurdes, où une armée, persane se mit à le suivre, tandis qu’une autre le guettait au débouché des montagnes. Dans ce danger pressant, il prévint la jonction des armées ennemies en attaquant celle qui le suivait à la fameuse bataille de Ninive, qu’il gagna, et qui lui valut la soumission de l’Assyrie. Jamais il ne s’était montré plus héroïque ; trois cavaliers étaient morts de sa main dans la mêlée ; il avait reçu deux coups de lance, l’un au visage, l’autre au talon, et son cheval Phalbas avait été tué sous lui. Il marcha alors sur Ctésiphon en côtoyant le Tigre et détruisant sur sa route les célèbres palais des rois de Perse dont le fleuve était bordé, — ces paradis magnifiques réservés aux chasses royales, et qui fournirent une nourriture abondante au soldat romain. Khosroés fuyait de palais en palais avec ses troupeaux d’enfans et de femmes, n’osant approcher de Ctésiphon et craignant l’indignation de ses sujets. Le fier roi n’eut bientôt plus d’asile que les cabanes des paysans. Pour compléter sa ruine, l’aîné de ses enfants, Siroës, qu’il voulait déshériter du trône, se révolta, et khosroës mourut dans un cachot, sous la main d’assassins payés par son fils. Au milieu de cette défaite des armées, décès révoltes civiles, de ces attentats domestiques, Héraclius devint l’arbitre de la Perse. Aussi modéré après le succès que hardi dans la lutte, il laissa la couronne à Siroës, épargna Ctésiphon, et signa la paix ; mais Siroës ne fut qu’un vassal de l’empire romain. Crassus et Valérien étaient vengés : le grand-roi n’était plus.