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clinquant; tout était leste et martial; des clairons pour toute musique; un costume sombre, mais dont la simplicité harmonieuse ne manquait pas d'élégance. Les bataillons de chasseurs traversaient les rues au pas gymnastique et venaient recevoir un drapeau des mains du roi. Le lendemain, afin de bien marquer le but sérieux de l'entreprise, son caractère tout militaire, quatre de ces bataillons partaient pour l'Afrique; les six autres allaient tenir garnison dans nos grandes places de guerre, auprès des écoles d'artillerie, dont le matériel devait leur permettre d'entretenir et de perfectionner leur instruction.

Hélas ! cette création était un legs fait à la France ! Un an plus tard, au moment même où le duc d'Orléans allait faire exécuter, sur une grande échelle, un simulacre d'opérations militaires destiné surtout à déterminer le rôle et l'emploi des nouveaux bataillons, il plut à Dieu, dans ses impénétrables desseins, de nous ravir le prince sur lequel reposaient de si légitimes espérances. C'est alors seulement que, par un pieux souvenir, les chasseurs reçurent le nom d’Orléans, que la modestie de leur fondateur n'eût jamais permis de leur donner de son vivant. Ils le portèrent glorieusement. Leur noviciat en Algérie avait été court et facile; leurs cadres étaient remplis d'officiers qui avaient l'habitude de la guerre; les soldats étaient bien préparés à la rude vie des camps. Dès les premiers mois de 1842, les officiers-généraux constataient, dans des rapports officiels, la terreur que la précision de leur tir inspirait aux Arabes, et la tombe du duc d'Orléans était à peine fermée, que la belle conduite du 6e bataillon dans les sanglans combats de l'Oued-Foddah plaçait les chasseurs au rang des meilleures troupes d'Afrique. Nous ne les suivrons pas dans tant d'actions auxquelles ils prirent une part brillante; nous nous bornerons à rappeler deux faits d'armes qui les ont particulièrement illustrés.

Dans le courant de l'année 1845, un imposteur, exploitant la crédulité des Arabes, se servant avec art de l'organisation d'une confrérie religieuse à laquelle il appartenait, parvint à soulever une grande partie des tribus des provinces d'Alger et d'Oran : il se faisait passer pour le maître de l'heure, sorte de messie depuis longtemps attendu; mais on l'appelait plus communément Bou-Maza, le père à la chèvre, à cause d'une chèvre dont il se faisait accompagner, et qui était censée lui servir d'intermédiaire avec les puissances surnaturelles. Cet homme montra beaucoup d'habileté et d'audace; son activité était si extraordinaire, il avait été vu presqu'à la fois sur tant de points différens, qu'on doutait de son existence, et qu'on le prit longtemps pour un mythe. On croyait avoir réprimé l'insurrection; un chériff qui se donnait le même nom venait d'être pris et fusillé,