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la douceur et de la persuasion. Il sera temps, plus tard, d’en venir aux moyens violens.

San-Caio demeurait à la place du Peuple. La porte de la maison était ouverte. Don Cicillo, craignant de se refroidir, monta les degrés quatre à quatre, et tira vivement le cordon de la sonnette. Le valet de chambre lui ouvrit, et demanda ce que souhaitait son excellence.

— Je veux parler au chevalier, dit Francesco on regardant d’un air sombre la haute stature, les larges épaules et la mine énergique du domestique romain.

— Monsieur le chevalier est dans le bain, répondit le valet de chambre.

— Demandez-lui à quelle heure il pourra recevoir don Francesco Pizzicoro.

Le laquais entra chez son maître, et revint dire que le seigneur chevalier ne pouvait donnez de rendez-vous pour aujourd’hui.

— Il faut pourtant que je le voie, répondit Francesco. Dites-lui que je serai ici dans une heure, et que je le prie instamment de m’accorder une entrevue.

Cette heure de délai fut un siècle d’angoisse pour le pauvre Cicillo. Il sentait approcher le moment d’une catastrophe, mais, tout en frémissant, il obéissait à l’impulsion donnée par Elena. Il rentra chez lui pour s’armer d’une canne, et il se livrait dans sa chambre à l’exercice préparatoire du moulinet, lorsque Gennaziella vint l’interrompre.

— Jésus-Maria ! dit la vieille nourrice, que faites-vous donc là, si Cicillo ? Est-ce que vous allez jouer le rôle du guapo dans une comédie de société ?

— Non, Gennari, répondit le jeune homme avec fierté. Il n’y a pas de fanfaron. Dans une heure, je serait sérieusement obligé de me battre à coups de bâton avec un laquais.

— Sainte Vierge ! qu’est-il donc arrivé ? Contez-moi cela, mon enfant.

Francesco fit un récit diffus et embrouillé des évènemens de la matinée ; mais l’intelligente nourrice comprit tout de suite la vérité.

— Si bien donc, dit-elle dans son patois, que le chevalier fa l’ammore co na comica ?

— Mon Dieu ! oui, Gennari. Cet enragé est amoureux d’une comédienne.

— Ah ! si vous étiez un autre homme ! reprit Gennariella, mais il faut remplir vos engagemens, et mener à bonne fin votre ambassade.

— Sans doute il le faut, et voilà pourquoi je suis venu chercher ma canne.