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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

les bonnes dispositions de la madone, et, pour en attendre l’effet, il se rendit paisiblement au grand café du Corso. Il y prenait sa seconde tasse de café, en lisant le Diario, sans que la sainte Vierge lui eût encore envoyé aucune inspiration, lorsqu’une chaise de poste vint à passer. Attiré par le bruit des grelots, il descendit jusque dans la rue et reconnut dans la voiture San-Caio et la Teresina. Un carrosse de place arrivait par la via dei Condotti ; don Cicillo s’y élança et donna l’ordre au cocher de suivre la chaise de poste. Les voyageurs passèrent devant Saint-Jean de Latran, et prirent la direction d’Albano. Évidemment ils allaient à Naples par la voie Appia. Muni de ce renseignement, Francesco pouvait retourner chez la comtesse en touts assurance, il remercia la madone et se fit conduire au palais Corvini. Pour donner à sa découverte l’apparence d’un trait de génie et d’une expédition brillante, il traversa la cour, le vestibule et l’antichambre en courant de toutes ses jambes, et se jeta dans un fauteuil ; les bras pendans, la bouche ouverte, la poitrine haletante.

— Qu’avez-vous ? lui dit Elena.

— Le ciel, répondit Cicillo, le ciel m’en est témoin : je l’aurais traîné jusqu’à cette place, mort ou vif, s’il eût osé m’attendre, le poltron ! mais il a fui. Je l’ai poursuivi sur la route d’Albano avec un carrosse de loange, et j’ai failli le rejoindre à Torre-di-Mezza-Via, où il a changé de chevaux. Je suis arrivé une minute trop tard. Ô rage ! il m’a échappé.

La comtesse gardait le silence ; mais on voyait à la fixité de son regard, au sourire amer de ses lèvres, qu’un grand combat se livrait dans son âme. Elle lit le tour du salon, et revint s’asseoir près du feu, le coude appuyé sur le bras de sa chaise longue.

— Cher Francesco, dit-elle d’une voix douce et calme, j’ai depuis longtemps le désir d’aller à Naples. Je veux louer une villa pour l’été prochain à Sorrente ou à Capri. J’aurai besoin de vous. Nous partirons ensemble demain.

— Un voyage ! s’écria Cicillo. Un départ si précipité ! Que pensèront vos amis ?

— Je ne m’en soucie point. Si vous hésitez, j’aurai bientôt trouvé un autre compagnon.

— Non, comtesse, je n’hésite pas. Je suis fier de la préférence.

— Eh bien ! ne perdez pas le temps à faire des objections, et soyez pret demain à midi.

— Je serai prêt, comtesse.

Le soir, les habitués du palais Corvini poussèrent de grands hélas ! en apprenant que leur académie serait fermée pour cause de départ. Le marquis Orazio se récria sur les dangers d’un voyage en hiver, par une route où les actes de brigandage étaient encore fréquens. Il voulait accompagner Elena jusqu’à Terracine avec de bonnes armes ;