Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

aura vu du pays ce qu’elle en veut voir, elle vous ramènera l’enfant bien portant, et vous le rendra sans opposition ni regret. Quant à des écueils, comme vous dites, je n’en vois pas sur la route de Naples. À moins que la dame ne s’amuse à vouloir passer, par un temps d’orage, le détroit de Messine, il n’y a nulle raison de craindre un naufrage. L’enfant est timide, il n’aime pas l’eau froide, et ne s’est jamais jeté dans un bassin. Il peut partir, et s’il rentre au logis éclopé de cœur et malade d’amour, je tiens son Elena pour une magicienne, une enchanteresse capable de réveiller un mort ou d’apprivoiser une écrevisse.

— Mon fils, dit avec solennité donna Susanna, bien que l’opinion de votre nourrice ne soit qu’un tissu d’impertinences, vous partirez demain, parce que je vous y autorise. Voici vingt-cinq écus pour vos menus plaisirs ; ménagez-les. Laissez la comtesse payer les frais et généralement toute espèce de dépenses. Embrassez votre mère et votre tante, et allez vous mettre au lit.

— Mon neveu, mon enfant, mon Francesco, dit la tante en pleurant, va donc où t’appelle la gloire, puisque tout le monde le veut. Comme on ne sait ce qui peut arriver en voyage, accepte ces dix écus, c’est tout ce que j’ai en argent comptant, et prends encore cette boîte ; serre-la précieusement : elle contient tous les bijoux que j’aie possédés en ma vie.

La bonne zia remit à son neveu une boîte à mèches en carton dans laquelle étaient trois petits anneaux d’or, une épingle ornée d’une turquoise, et une paire de boucles d’oreilles en filigrane, le tout représentant une valeur de quinze à vingt francs. Elle embrassa ensuite Francesco, et fondit en larmes, tandis qu’il se retirait dans sa chambre, non pas remué par les caresses de ces pauvres vieilles qui l’adoraient, mais fier comme Achille et vain comme Artaban de l’émoi dont il se voyait la cause. Le lendemain de grand matin, il arpentait les rues, rasant la terre comme une hirondelle, pour se procurer un passeport et pour retenir des chevaux de poste. On jasait déjà dans les cafés sur son voyage, et l’on se demandait pourquoi la comtesse avait choisi ce cavalier parmi tant d’autres. L’antique reine du monde, qui avait souri des inquiétudes et des harangues de Cicéron, du triomphe de Jules César, qui s’était à peine émue des intrigues de Catilina et des proscriptions d’Auguste, s’agitait pour une affaire d’une importance moindre, il faut bien l’avouer : le départ d’Elena et de don Cicillo !

À midi, la voiture se trouva prête et attelée de trois chevaux dans la cour du palais Corvini. G’était une excellente berline à quatre places et à deux sièges. La comtesse descendit le perron appuyée sur le bras de Francesco, dont la mine pâle semblait radieuse et presque bouffie de plaisir. Les deux femmes de chambre s’instal-