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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

et voyagea sans se presser, en s’arrêtant la nuit, de peur d’un nouvel accident. Par mesure de prudence, il dormit à Albano, et ne rentra au palais Corvini que le troisième jour après midi. Au bruit du carrosse, les domestiques arrivèrent dans la cour pour porter les bagages.

— Ah ! mes amis, leur dit Francesco, que de larmes vous allez verser ! Quante lagrime ! quanti sospiri ! Ô maison désolée !

— Madame la comtesse vous attendait hier, interrompit un laquais.

— Hein ? madame la comtesse…

— Elle est la-haut, dans le petit salon. Ses femmes de chambre lui ont bien manqué.

Don Cicillo courut tout palpitant jusqu’au petit salon. Il en poussa la porte et s’arrêta sur le seuil, comme pétrifié d’étonnement. Un tableau gracieux s’offrit à ses regards effarés. Mollement étendue dans un hamc, la tête posée sur sa main droite, comme la Cléopâtre, les yeux à demi fermés, Elena semblait sommeiller. Près d’elle, Orazio, assis dans un fauteuil, les jambes croisées, une main sur le bord du filet, tenant un petit livre de l’autre main, récitait en cadence un sonnet de Monti et balançait doucement le hamac, comme le berceau d’un enfant. Don Cicillo cememplait cette image du far niente.

— C’est vous, mon ami ? lui dit Elena d’une voix langoureuse. Vous êtes resté bien longtemps en route.

— Je vous cherchais, comtesse. Après l’effroyable événement…

—Ah ! la rencontre de Terracine. Eh bien ! dites-moi un peu ce que vous avez fait depuis.

— Comtesse, racontez-moi plutôt par que miracle vous avez échappé à vos infâmes ravisseurs.

— Bien de plus simple, mon ami, dit Elena : j’ai payé au chef des brigands la rançon qu’il a exigée.

— Et comment se fait-il que je vous retrouve ici ?

— L’envie d’aller à Naples m’est sortie de la tête.

— Qui donc vous a ramenée à Rome ?

— Les brigands eux-mêmes. Je ne puis nier que pour des ennemis de la société, ils se sont conduits galamment.

— Fort bien. j’ai donné de l’argent au commissaire de police de Terracine pour faire des perquisitions, et j’espère que ces galans gentilshommes sont au cachot à cette heure.

— Oh ! que non. Le commissaire aura pris l’argent, je n’en doute pas ; mais il ne se fatiguera point à chercher des gens qui se cachent. Je suis charmée de vous voir, cher Francesco, parce que j’avais besoin de mes caméristes, de Marietta surtout, qui est une fille intelligente. Elle aura eu grand’peur sans doute.