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magasins, a dû se résigner à continuer sa route à jeun, souffrant de la soif et de la faim jusqu’à la station suivante, qui pouvait être éloignée de seize ou dix-huit heures de marche. Il est facile de juger, par les souffrances que les pèlerins éprouvent dans des cas semblables, de l’intérêt qui s’attache au maintien de l’inviolabilité des châteaux, et cela explique l’importance des sommes qui sont payées annuellement aux Arabes pour s’assurer de leur fidélité. Ces sommes, indépendamment de cadeaux consistant en manteaux, tissus, etc., s’élèvent à près de 600,000 piastres (150,000 fr.). Les Arabes qui y ont part sont les Arabes de Mezarib, ceux de Maan, ceux du Harameïn.

Quand on voit la Porte dépenser de si fortes sommes pour le pèlerinage de La Mecque, on se sent tout naturellement amené à s’informer des besoins que la caravane est chargée de satisfaire, ce qui conduit à s’enquérir de la quantité de pèlerins qui partent de Damas pour se rendre par terre à La Mecque. Or il est à ma connaissance qu’en l’année 1851 la caravane ne comptait que 2,000 et quelques pèlerins, parmi lesquels figuraient 150 femmes environ. Quelle était l’origine de ces pèlerins? quelles contrées les avaient vus naître? On comptait parmi eux 1,700 et quelques Persans et environ 300 sujets du sultan. Nous sommes loin assurément de ces chiffres sacramentels de 10 et 12,000 pèlerins, évaluations qu’on retrouve dans tous les livres traitant de la Syrie; mais il faut bien en prendre son parti et tomber dans la réalité prosaïque des chiffres.

On peut tirer de ce fait un enseignement sur lequel le gouvernement du sultan lui-même fera bien de méditer. Si, comme j’ai lieu de le croire, les dépenses de la caravane ne s’élèvent pas à moins de 2 millions de francs par année, c’est donc 1,000 francs de dépense officielle pour chaque pèlerin sans distinction de nationalité. Cependant les Persans sont les schismatiques de l’islamisme, puisqu’ils sont chiites, c’est-à-dire qu’ils se refusent à reconnaître les trois premiers kalifes comme les héritiers du pouvoir religieux du prophète. Il est par conséquent difficile de supposer que les dépenses de la caravane soient faites en vue de faciliter le pèlerinage à ces dissidens, et il s’ensuit que si l’on n’a en vue que de le faciliter aux orthodoxes, la dépense faite dans cette intention s’élèverait à une somme de 6,666 francs pour chaque vrai fidèle. Admettons pourtant que j’aie évalué trop haut le total des dépenses, et que ce total ne s’élève qu’à 1,500,000 fr. : ce sera encore une somme de 750 fr. par pèlerin sans distinction de nationalité, et de 5,000 francs par chaque pèlerin orthodoxe. Ces dépenses paraîtront assurément trop élevées et tout à fait au-delà de ce qu’exigé le respect pour les