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toutefois que ces travaux, d’une érudition un peu froide ou d’une littérature trop timorée, répondissent aux ardeurs croissantes de la conscience publique. Pelzel, Puchmayer, Prochazka, n’avaient pas une foi complète dans la sève et la vitalité de cette langue qu’ils évoquaient; ils la traitaient à la façon d’une langue morte, car ils écrivaient en bohème comme les latinistes modernes écrivent en latin, sans oser produire toute leur pensée, sans manier leur instrument avec la liberté et l’aisance qui sont les signes de la vie. Timides et circonspects, ils ne faisaient un pas qu’après s’être assurés du terrain. Le XVIe siècle, et particulièrement le règne de l’empereur Rodolphe II, était pour eux la période classique de la langue et de la littérature bohème; il fallait garder avec respect toutes les formules consacrées de cet âge d’or. Comment cette école de puristes aurait-elle pu exercer quelque influence sur la nation? Une telle littérature n’aurait été bientôt qu’une œuvre de marqueterie. — Ayons plus de confiance en nous-mêmes, dit la nouvelle école, étudions la langue dans les monumens du passé, mais recueillons-la aussi de la bouche du peuple, qui en a perpétué la tradition vivante. Ne craignons pas de la plier aux nécessités de notre âge, c’est une épreuve qu’elle doit subir. Si l’idiome de nos aïeux ne peut plus exprimer les idées de notre siècle, pourquoi nous efforcer de le rappeler à la vie? Et quel fruit en retirera notre croisade patriotique?

Le chef de ceux qui s’exprimaient ainsi s’appelait Joseph Jungmann. Auteur d’une histoire de la littérature bohème, et surtout d’un grand dictionnaire national signalé comme un monument du premier ordre, Joseph Jungmann avait le droit de tenir ce langage aux puristes et de contraindre la vieille philologie à sortir de l’ornière. Cela se passait au lendemain des guerres de l’empire, pendant ces premières années de la restauration où l’on vit se déployer par toute l’Europe un si généreux essor d’activité intellectuelle. La lutte dura plusieurs années. Des controverses techniques sur l’orthographe et la grammaire compliquèrent la question et firent craindre un instant que ce réveil de la Bohême ne fût qu’une affaire d’académie; mais la victoire resta enfin aux novateurs. Parmi les plus vaillans auxiliaires de Jungmann, la Bohème cite avec honneur M. Presl, qui s’occupa de fixer une terminologie applicable aux développemens des sciences naturelles; M. Safaryk, qui donna un si vigoureux élan aux travaux historiques; M. Hanka, qui, en étudiant les règles perdues de l’orthographe, eut le bonheur de retrouver dans un manuscrit oublié une précieuse collection de chants nationaux du xi" au XIIIe siècle; M. Kollar, M. Celakowsky, M. Klicpera, M. Holly, qui montrèrent par des poésies originales que l’idiome des siècles passés pouvait encore se parer de fleurs nouvelles, et M. le comte Léo de Thun, à qui j’emprunte