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gouvernement à elle, un ministère responsable qui siégera, non à Vienne, mais à Prague, et ne s’occupera que des intérêts particuliers des Slaves. Or le mouvement est si vif, la pétition si hautaine et si pressante, que l’empereur Ferdinand essaie en vain d’y résister. Le 23 mars, il a fait une réponse évasive ; le 8 avril, il accorde aux Tchèques la base des réformes qu’ils réclament, et déjà les imaginations voient se relever le royaume des Ottocar. Ce n’est pas tout. Tandis que ces transformations s’accomplissent en Bohême et que les Tchèques victorieux y dominent le parti germanique, des prétentions contraires triomphent par toute l’Allemagne. A la première nouvelle des événemens de Paris, quelques hommes résolus se réunissent à Heidelberg, et là, sans autre mandat que celui des périls publics, décrètent l’appel au peuple, nomment un comité provisoire de cinquante membres, et préparent l’élection d’un grand parlement national convoqué à Francfort. Toutes les royautés s’inclinent devant ce décret d’Heidelberg. Que fera l’Autriche en ces graves circonstances ? Quel sera surtout le rôle de la Bohême ? La Bohême ne veut pas que l’Autriche envoie ses députés à Francfort. Si l’Autriche, perdant son caractère distinct, comme le veulent les législateurs de Francfort, va se fondre dans l’unité de l’empire d’Allemagne, que restera-t-il aux Tchèques ? Il faut que l’Autriche s’organise en dehors de cette menaçante unité, il faut qu’elle soit une confédération de peuples, — Allemands, Tchèques, Slovaques, Illyriens, — investis chacun de leurs droits et de leurs franchises. Tel est le système des Tchèques, et comme l’Autriche y trouve son compte, elle laisse grandir de jour en jour les prétentions de l’esprit slave. On vit alors des scènes terribles dans les rues de Prague : Tchèques et Allemands ensanglantaient la ville ; plus nombreux et surtout plus hardis, les Slaves faisaient peser une sorte de terreur sur les amis du parlement de Francfort, et lorsque les Allemands, tournant les yeux du côté devienne, adressaient au ministère des plaintes désespérées, ils s’apercevaient bien vite que le ministère en était médiocrement ému[1]. Encore une fois, pendant ces mois d’avril et de mai 1848, on dirait une tacite alliance de l’Autriche avec le soulèvement des Tchèques. Effrayée de la convocation du parlement de Francfort, l’Autriche trouve commode de se retrancher derrière les intérêts de ses populations slaves. L’alliance ne dure pas toutefois ; l’ardeur des Bohèmes ne connaît plus de frein, les chefs ne sont plus maîtres de leurs soldats, les fureurs démagogiques se mêlent aux passions nationales, une insurrection éclate le 12 juin,

  1. Voyez les détails de cette lutte dans le dramatique tableau qu’en a tracé ici même M. Alexandre Thomas : la Praguerie de 1848, livraison du 1er septembre 1848.