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engagé, — une garantie contre les dangers de la politique russe en Orient, un état de choses tel que la force agressive de l’empire des tsars cesse d’être une menace permanente. Jusqu’ici, la Russie se réfugie derrière ce qu’elle appelle ses droits de souveraineté pour ne point transiger sur l’existence même des moyens qui constituent sa puissance. C’est dans ces conditions que l’affaire se présente au congrès.

Si la paix ne sort pas des conférences actuelles de Vienne, il est difficile de savoir d’où elle renaîtra, et quel cours prendra cette lutte formidable. L’article publié récemment au Moniteur sur les opérations militaires en Crimée, sur l’imprévu qui s’y est mêlé et sur les difficultés assurément fort graves de l’entreprise qui se poursuit devant Sébastopol, indique-t-il la pensée d’offrir un autre but à l’héroisme de nos armées dans le cas de la continuation de la guerre ? Les événemens seuls le diront sans doute. Dans tous les cas, il est une autre question qui s’élève immédiatement, et dont parait s’être préoccupé le roi de Prusse dans l’appel récent qu’il a adressé à l’empereur Alexandre II : c’est celle de la politique de l’Allemagne, qui sera nécessairement appelée à se prononcer. Malgré les fluctuations et les mobilités de la Prusse, malgré la situation particulière qui lui a été faite en dehors des conférences, il est peu probable encore que le cabinet de Berlin se laisse complètement détourner des puissances occidentales. Sans doute sa politique est loin d’être claire et facile à définir, ses négociations flottent un peu à tous les vents, et on finit par ne plus savoir où sont ses envoyés ; mais il reste toujours un intérêt supérieur évident et cette solidarité acceptée dès l’origine par la Prusse elle-même avec toutes les autres puissances de l’Europe. Quant à l’Autriche, sa ligne de conduite est tracée par ses engagemens mêmes. Liée avec l’Angleterre et la France par le traité du 2 décembre, par une interprétation commune des conditions de la paix, elle ne peut évidemment que conformer ses actes à ses paroles et à ses obligations dans le cas où les conférences seraient rompues. Cette netteté d’attitude ne saurait répugner au cabinet de Vienne, et elle est presque même, dirons-nous, un devoir. Jusqu’ici, l’Autriche a été très habile, on ne saurait le nier ; elle a su prendre tous les avantages d’une intervention dans une grande affaire européenne sans en encourir toutes les responsabilités. Elle s’est liée avec les puissances occidentales sans rompre avec la Russie ; elle a aiguillonné le zèle de la Prusse en calculant et tempérant sa propre action. Son concours a été précieux, cela est hors de doute : sa politique a été et est encore une des garanties de l’Europe ; mais enfin jusqu’à ce moment sa part d’action réelle et effective s’est bornée à l’occupation très libre et très pacifique des principautés. Elle a été assez heureuse pour que les Russes fissent le vide devant elle, et qu’elle n’eût point à les combattre. Par une circonstance singulière même, il s’est trouvé que la présence des Autrichiens dans la Moldo-Valachie a assez peu inquiété la Russie pour lui permettre de rejeter toutes ses forces vers la Crimée, — de sorte qu’en poursuivant un but commun avec les puissances occidentales, en se mettant diplomatiquement dans leur alliance, l’Autriche, d’un autre côté, semblait indirectement, et sans le vouloir à coup sûr, créer des difficultés nouvelles à l’action militaire de l’Angleterre et de la