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— C’est-à-dire, interrompit M. Borris, que notre cher hôte a la plus belle bibliothèque du pays.

— En auteurs allemands? demanda Hermann.

— Et anglais et français, ajouta le banquier. Vous avez pu voir que M. Franck parlait avec la même facilité les trois langues.

— En effet, reprit la comtesse, et je me demande où monsieur a pu les apprendre?

— A Paris et à Londres, madame, dit le jeune aubergiste; j’y ai habité assez de temps pour compléter ce qui m’avait été enseigné à l’université.

— Par Hercule ! s’écria Brenner, alors notre hôte est un ancienstudiosus ?

— De l’académie de Zurich, monsieur.

En ce moment, Henriette, qui venait de finir sa leçon, accourait ses livres et son cahier sous le bras. — Si je vous disais que je comprends Métastase sans dictionnaire ! s’écria-t-elle; mais par malheur je n’ai que des vers. M. Franck n’oubliera pas qu’il m’a promis un volume de prose.

— Le messager retourne tout à l’heure à Stanz, mademoiselle, et demain vous aurez Jacob Ortis.

À ces mots, il rentra au chalet, laissant Henriette avec son tuteur, Hermann et Mme de Stieven. Celle-ci avait repris sa tapisserie, tandis que l’étudiant allemand, les bras croisés, promenait un vague regard sur le panorama qui se développait à ses pieds, que M. Borris parcourait sa correspondance et que la jeune fille lisait tout bas, en s’efforçant de plier ses intonations à la mélopée italienne. Il y eut un assez long silence, ce fut la comtesse qui le rompit.

— Ainsi mademoiselle Henriette va lire Jacob Ortis? dit-elle à demi -voix et d’un accent qui hésitait, pour ainsi dire, entre la réflexion et la demande.

La jeune fille se retourna.

— Pourvu que M. Franck tienne sa promesse, dit-elle; mais madame la comtesse connaît peut-être ce livre : qu’est-ce donc, de grâce?

— Mon Dieu ! vous le verrez, reprit Mme de Stieven avec une expression de réserve, c’est l’histoire d’une de ces passions sans frein, qui emportent une âme comme la cavale emportait Mazeppa.

— M. de Vaureuil assure que c’est facile à comprendre.

— Très facile, surtout s’il vous aide, et il vous aidera.

— Oh ! je l’espère bien, répliqua Henriette sans deviner l’intention cachée sous l’accent de Mme de Stieven.

Celle-ci la regarda comme si elle eût mis en doute la sincérité d’une pareille confiance. — De sorte que Mlle Henriette ne craint pas