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longue ligne da Danube, et cependant ne se compromettant nulle part, n’offrant aux Russes, supérieurs par l’organisation et par l’expérience, par l’instruction et par l’armement, que les chances d’actions secondaires, ne risquant enfin jamais cette armée qu’il devait regarder comme la dernière de l’empire ottoman. C’était là le difficile problème qu’il avait à résoudre, et il s’en est tiré avec honneur. Bien des causes sans doute ont contribué à l’évacuation des principautés, mais il serait souverainement injuste de ne pas faire dans le nombre une part brillante au mérite dont l’armée turque a liait preuve sous la conduite du prudent et énergique Omer-Pacha.

Quoi qu’il en soit, on était bien loin d’être arrivé, à ce résultat, lorsque la France et l’Angleterre ont déclaré la guerre à la Russie. Les Turcs avaient eu déjà, il est vrai, quelques affaires brillantes, ils avaient heureusement livré un combat défensif à Oltenitza, ils avaient attaqué avec succès et emporté les redoutes ennemies à Citate; mais en définitive l’armée russe occupait avec confiance tout le territoire des deux principautés, et de plus elle venait de forcer le passage du Danube, d’emporter Isaktcha, Toultscha, Matcbin, et poussait vivement les Turcs jusqu’au mur de Trajan.

Ainsi donc, sous le point de vue purement militaire, la Russie avait alors l’avantage en Asie et en: Europe elle semblait être bien près de l’obtenir. Sur mer, elle avait essayé de prendre l’offensive; mais l’affaire de Sinope, regardée avec raison[1] par la France et par l’Angleterre comme une violation de l’engagement pris de borner son action militaire à se maintenir sans rien entreprendre de nouveau dans les deux principautés, avait déterminé l’entrée des flottes alliées dans la Mer-Noire, et cette démonstration avait suffi pour que dans la Baltique comme dans la Mer-Noire la Russie songeât à se mettre sur le pied de la défense et de l’observation.

Sous le rapport politique et moral, il n’est pas moins intéressant de bien fixer les situations et les prétentions réciproques des belligérans.

D’un côté, la France et l’Angleterre annonçaient qu’elles prenaient

  1. Dans sa dépêche circulaire du 19 octobre 1853, communiquée à tous les gouvernemens de l’Europe, le comte de Nesselrode avait dit :
    « Nantis du gage matériel que nous donne l’occupation des deux provinces moldo-valaques, bien que toujours prêts, suivant nos promesses, à les évacuer du moment que réparation nous aura été faite, nous nous contenterons provisoirement d’y maintenir nos positions en restant sur la défensive aussi longtemps que nous n’aurons pas été forcés de sortir du cercle dans lequel nous désirons enfermer notre action. Nous attendrons l’attaque des Turcs sans prendre l’initiative des hostilités. Il dépendra donc entièrement des autres puissances de ne point élargir les limites de la guerre, si les Turcs s’obstinent à vouloir nous la faire absolument, et de ne point loi imprimer un caractère autre que celui que nous voulons lui donner. »