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nouveau. Ces alternatives d’éloignement et de rapprochement avaient excité au plus haut point sa curiosité. Chaque fois en effet que les replis de la route reconduisaient ainsi le couple mystérieux au-dessous de lui, il saisissait au passage quelques mots qui ne pouvaient lui laisser de doute sur la nature de l’entretien. Bien que l’accent de la jeune fille fût encore entrecoupé de courts éclats de rire, il était visiblement plus ému qu’à l’ordinaire. Celui de son interlocuteur semblait caressant, mais si bas, que l’oreille de l’écouteur avait peine à surprendre quelques sons. On parlait évidemment à Henriette d’amour et de projets de bonheur, le mot de mariage fut même prononcé, on indiqua une date;... mais dans ce moment le bruit de la trompe qui les avait précédés à la Kanzel, par un autre chemin, retentit de plus près. Le sentier allait rejoindre le plateau; les deux ombres s’arrêtèrent; il y eut comme un court débat, puis Hermann entendit distinctement le bruit d’un baiser. Il s’élança en avant et tourna le sentier... Tout avait disparu !

Quand il arriva à la Kanzel, la troupe entière s’y trouvait réunie, mais à demi cachée dans le brouillard; ses yeux ne distinguèrent d’abord que Mme de Stieven et M. Borris; il demanda vivement où était Mlle Bergel.

— Henriette ! dit le banquier; je l’ai perdue en quittant le Kulm et je la cherche comme vous.

— Il faut s’informer à M. de Vaureuil, fit observer la comtesse d’un air railleur.

— Parbleu! Mme de Stieven a raison, reprit naïvement M. Borris, qui cherchait dans la brume; les voilà tous deux là-bas avec M. Franck, qui jette une couverture sur les épaules d’Henriette. — Et élevant la voix : — Allons ! l’arrière-garde ! cria-t-il, en route vivement. Le brouillard est glacial et les estomacs sont vides, parbleu! C’était aujourd’hui le vrai jour pour qu’Henriette nous fit connaître son gâteau de l’Engadine qu’elle nous promet depuis un mois.

— Vous l’aurez demain, répondit la jeune fille en accourant; j’en ai fait la promesse solennelle à M. de Vaureuil.

— Et Mme la comtesse doit décider si ce plum-pack helvétique mérite sa renommée, ajouta celui-ci, qui avait suivi Henriette.

— Vous oubliez, monsieur, que l’époque fixée pour mon départ est arrivée, répliqua froidement Mme de Stieven.

— Quoi! madame la comtesse, vous nous quittez? s’écria Henriette.

— Monsieur de Vaureuil n’ignore pas que je suis attendue à Berne pour la fin du mois, reprit-elle, et lui-même devait, je crois, à la même époque, y rejoindre des amis.

— Il est vrai, dit le Français embarrassé; mais je pense... j’ai