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j’accorderai volontiers qu’il a quelquefois dépassé le but en proposant à notre curiosité des aspirations qui défient tous les efforts de notre langue. Qu’il ait pour lui l’autorité des frères Grimm, il ne m’appartient pas de le nier; mais je doute qu’une bouche française arrive jamais à prononcer Hlodwig. Pour établir l’origine germanique de la première race, il suffisait peut-être de substituer Ludwig à Louis, Hilpérik à Chilpéric, Siegbert à Sigebert; en un mot, il eût été plus sage de n’offrir aux érudits et aux gens du monde que des noms faciles à prononcer. Toutefois, malgré son exagération, la réforme tentée par M. Augustin Thierry a porté coup, et personne aujourd’hui ne songe plus à confondre la physionomie de la première race avec celle des Valois et des Bourbons, comme l’ont fait tant d’historiens applaudis dans leur temps.

Les Redits des temps mérovingiens sont le complément naturel des Lettres sur l’Histoire de France. Ne croyant pas pouvoir recommencer pour la France ce qu’il avait si glorieusement accompli pour l’Angleterre, il a voulu du moins enseigner à la génération nouvelle l’art de débrouiller les premiers monumens de notre histoire. Quel que soit le charme de ces Récits, je ne chercherai pas à déguiser mon regret. J’aurais aimé à voir M. Augustin Thierry nous retracer le développement politique et social de notre pays, de 481 à 752, depuis l’avènement de Clovis jusqu’à la chute de la race mérovingienne : un tel tableau n’eût peut-être pas dépassé la limite de ses forces. Au lieu de cette histoire générale, il s’est contenté de nous donner quelques épisodes de ces temps qui passaient volontiers pour indéchiffrables avant qu’il n’eût pris la peine de les éclairer. S’il n’a pas fait tout ce qu’il pouvait faire, il a pourtant métamorphosé complètement cette première partie de notre histoire. Il a tiré de Grégoire de Tours un parti excellent, je pourrais dire un parti vraiment inattendu, car, malgré les efforts de dom Ruinart pour éclaircir les récits de l’évêque de Tours, bien des événemens demeuraient confus. M. Augustin Thierry, en appelant à son aide la philologie et la géographie, en distinguant avec soin les personnages gaulois ou gallo-romains des personnages purement germains, a trouvé moyen de restituer à ces temps éloignés la physionomie qui leur appartient. Je ne veux pas discuter trop sévèrement les citations qu’il place au bas des pages, et qui ne s’accordent pas toujours d’une manière littérale avec le texte de son récit; de telles inexactitudes ne peuvent être prises pour des erreurs, et n’altèrent pas d’ailleurs la vérité générale du récit. À cette heure, les épisodes de l’histoire mérovingienne racontés par M. Augustin Thierry sont à coup sûr les plus belles pages, les plus savantes, les plus fidèles que cette période ait inspirées. C’en est assez pour désarmer les érudits