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Victor Hugo, dont le nom avait si rapidement grandi sous la restauration, mais dont les Orientales avaient montré l’alliance malheureuse d’une habileté consommée et d’une pensée presque insaisissable, tant elle tenait peu de place dans les vers du poète, a répondu victorieusement à ce reproche, hélas! trop mérité, par les Feuilles d’automne. De tous les recueils lyriques de Victor Hugo, les Feuilles d’automne sont probablement le seul qui restera, car c’est le seul où se rencontre une sensibilité vraie, le seul où se révèlent des pensées sérieuses. Malgré la prolixité de quelques pièces, c’est, à tout prendre, un livre qui plaira toujours aux âmes délicates, et qui assure à l’auteur les suffrages de la postérité. Pour le juger avec équité, pour parler de lui sans dépit et sans amertume, il faut oublier les Chants du Crépuscule, les Voix intérieures, et surtout les Rayons et les Ombres, où nous retrouvons toute la puérilité des Orientales, avec moins de splendeur dans les images, moins de limpidité dans le style. Dans l’ordre lyrique, les Feuilles d’automne sont le chef-d’œuvre de Victor Hugo. C’est donc aux Feuilles d’automne qu’il faut demander la mesure et la portée de son talent. Espérons que les Contemplations se placeront à côté des Feuilles d’automne et ne réveilleront pas le souvenir des Orientales.

Après Lamartine et Victor Hugo, le nom d’Alfred de Vigny est celui qui se présente le premier, et j’ai lieu d’espérer que les générations futures ne lui contesteront pas cette glorieuse parenté. Par la délicatesse de son talent, par la pureté du langage, par le nombre et la variété des pensées qu’il suscite, et qui font de ses vers une nourriture savoureuse, il se rattache aux plus beaux temps de notre poésie. Il a trié d’une main sûre les premiers essais de sa jeunesse, et s’est bien gardé de réunir sans distinction tout ce qu’il avait écrit pendant son adolescence. Le public lui a su bon gré de ses scrupules, et les poèmes d’Alfred de Vigny sont aujourd’hui consultés, étudiés, comme des œuvres d’un goût achevé. Éloa, Dolorida, Moïse, sont et demeurent des modèles de grandeur, de passion, de mélancolie, et n’ont rien à redouter des caprices de la mode.

Si l’on jugeait Sainte-Beuve d’après le seul recueil qu’il ait publié sous la monarchie de juillet, on serait injuste envers lui. Il y a en effet dans les Pensées d’août tant de pages obscures, tant de pensées impénétrables pour la foule, qu’on a quelque peine à reconnaître l’auteur des Consolations. C’est à ce dernier livre qu’il faut demander ce que vaut Sainte-Beuve dans l’ordre lyrique. Toute autre manière de l’apprécier nous entraînerait hors de la vérité. Les Iambes d’Auguste Barbier marquent dans la satire française une transformation, ou, si l’on veut, un rajeunissement dont le souvenir ne s’effacera pas. Quelques fragmens d’André Chénier avaient