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Or à l’époque du siège cet ouvrage couronné ou à cornes, comme on dit à présent, était en terre et sans revêtement; sa gorge s’appuyait solidement d’ailleurs sur deux grandes demi-lunes, celle de droite baignée par l’Escaut, toutes deux percées d’embrasures et de meurtrières, avec vue sur le fossé, qui était pourvu de bonnes traverses, mais à sec.

Je ne dois pas oublier non plus deux demi-lunes, peu spacieuses d’ailleurs, qui, placées à cette époque en avant des deux demi-bastions de l’ouvrage couronné, en couvraient les approches. C’étaient les seules défenses de la place de ce côté. Quoique les lunettes et le fort Dampierre n’existassent pas alors, on voit cependant que ces fortifications n’étaient pas sans importance. Les traces du combat très vif qui se livra à l’entrée du pâté entre les mousquetaires et les défenseurs de cet ouvrage existent encore et sont faciles à reconnaître. Les balles ont fait sur la muraille de nombreuses et profondes marques, que j’ai regardées bien souvent en parcourant pied à pied l’itinéraire de nos intrépides soldats.

Après avoir décrit la place qu’il s’agissait de soumettre, il n’est pas hors de propos de jeter ici les yeux sur l’Europe au moment où commençait l’importante campagne de 1677, afin de nous rendre un peu compte du rôle qu’y jouait alors la politique respective des états. Le roi d’Angleterre et les amis de la dynastie des Stuarts nous étaient favorables. Dans le discours du trône, Jacques II s’était félicité de son rôle de médiateur à Nimègue. De leur côté, les orangistes le contrecarraient, bien entendu, et de leur mieux, sous ce rapport : c’était le parti de l’opposition dans les communes. Le pape Innocent XI, sympathique pour la France, avait envoyé à Vienne, en qualité de nonce extraordinaire, Ludovico Bevilacqua, patriarche d’Alexandrie, offrant de se porter médiateur entre les puissances catholiques. Néanmoins les Espagnols traînaient les négociations en longueur, car ils étaient pleins d’espérance sur les résultats d’une campagne prochaine[1]. L’empereur et tous les alliés avaient promis d’envoyer encore sur le Rhin une armée plus puissante que les années précédentes. L’électeur de Brandebourg et le duc de Neubourg, qui s’étaient déclarés depuis quelque mois contre la France, avaient tenu des conférences à Wesel, où presque tous les ministres accrédités à Nimègue s’étaient rendus, et l’on y avait formé de si grands projets qu’on ne doutait pas du succès dès la reprise des hostilités. Ils comptaient que la chambre des communes anglaises, dont

  1. Les plénipotentiaires pour l’Espagne qui signèrent avec la France le traité du 17 septembre 1678 étaient le marquis de Las Balbaes et don Pedro Rouquillo. Le comte de Kinsky et l’évêque de Gurck, signataires du traité particulier du 7 février 1679, représentaient l’empire aux conférences de Nimègue.