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gouverner eux-mêmes; toute trace d’un pareil gouvernement avait disparu en France depuis des siècles.

La lutte s’établit d’abord entre les deux tendances naturelles à une fédération. Le besoin d’une certaine prépondérance du gouvernement central sur les états fédérés et la résistance de ceux-ci, résistance dont l’état de Virginie était le principal représentant, c’est là ce qu’il faut voir dans la lutte des fédéralistes, — mot qui avait aux États-Unis un sens opposé à celui qu’il a reçu en France, — et de leurs adversaires, qui s’appelèrent d’abord les républicains, puis, les démocrates. Washington ne s’y trompait point quand il disait avec raison que «le principe démocratique était fondé sur divers principes, mais pour servir des intérêts locaux. »

M. de Witt, qui cite ces paroles, cède, ce me semble, à une préoccupation née d’une autre origine en opposant les conservateurs aux démocrates. Les démocrates n’étaient pas moins conservateurs que leurs adversaires, et même si l’on voulait trouver à cette époque, sinon le projet arrêté, au moins la pensée vague d’un changement de forme dans le gouvernement, si l’on voulait trouver une tendance qui ne fut pas conservatrice du présent, c’est chez certains fédéralistes qu’il faudrait la chercher. Washington, qui avait eu aussi ses doutes sur l’excellence et la possibilité de la république dans son pays, n’en avait plus : il la voulait sincèrement et y croyait. Ce qu’il craignait pour la république, c’était l’anarchie, et pour l’unité américaine, l’indépendance absolue des états qui pouvait la briser. C’est à combattre ces deux dangers par sa fermeté, et plus encore à les conjurer par sa prudence, qu’il s’appliqua pendant la durée de son pouvoir. On peut dire que toute sa politique intérieure était là. Il y réussit, et dans la septième année de ce pouvoir il pouvait s’écrier avec un noble orgueil : «Que vont dire les hommes qui prétendaient que nous étions hors d’état de nous gouverner nous-mêmes?» car on l’avait beaucoup dit des Américains. « Ils verront que le républicanisme n’est point le fantôme d’une imagination malade. Au contraire, sous aucune autre forme de gouvernement les lois ne sont mieux défendues, la propriété mieux assurée et le bonheur plus efficacement dispensé à l’homme. »

Les véritables difficultés du gouvernement de Washington furent au dehors. L’état nouveau qu’il avait si puissamment concouru à fonder se trouva en présence de notre révolution, bientôt dénaturée, qui tournait à la violence, et qui prétendait imposer aux nations réellement libres ce qui n’était plus chez elle qu’un simulacre de liberté. D’autre part, les Anglais se montraient mal disposés pour cette jeune république, naguère leur colonie. Tour à tour la France et l’Angleterre furent injustes et arrogantes envers l’Amérique. Leurs