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de pédantisme, il ne manque certes ni de pureté, ni de vigueur ; mais ne demandez pas à ce pinceau correct d’intéresser plus que votre esprit, de vous initier à d’autres mystères qu’aux secrets de la ligne et de la beauté palpable. L’expression des affections intérieures, la peinture des passions humaines, les conditions morales de l’art en un mot, sont pour David à peu près lettre close, bien qu’il recherche avec une obstination singulière les sujets tragiques. Étrange contraste en effet : la plupart des scènes qu’il entreprend de représenter ont un caractère nécessaire de terreur, de pitié ou de tendresse, et cependant, en les transportant sur la toile, il semble n’avoir ressenti qu’une impression purement pittoresque, qu’un seul besoin, celui de l’harmonie linéaire. David est inhabile à rendre la douleur ; voyez les attitudes théâtrales des femmes dans les Horaces, et le groupe si pauvre d’expression que forment dans Brutus la mère et les sœurs des deux victimes. S’agit-il de peindre les langueurs ou les agitations de l’amour, l’impuissance du sentiment est moins douteuse encore. Quoi de plus insignifiant que les traits, que les figures tout entières de Paris et d’Hélène ? En dehors de la précision souvent animée du style, de cette fermeté passionnée pour ainsi dire, qui donne à la manière de David son originalité et son accent, trouverait-on dans aucune œuvre du peintre le signe d’une émotion profonde, la vive empreinte de la révélation ? Partout l’ardeur à formuler une poétique, nulle part la verve et les effusions d’un poète. Je me trompe : David connut un jour l’enthousiasme du cœur, et l’on verra tout à l’heure en face de quelle abominable idole ; mais hormis ce jour glorieux et coupable à la fois, chaque moment de sa vie d’artiste fut consacré à la pratique de la règle, aux calculs savans, aux comparaisons attentives. M. Delécluze, pour caractériser le talent et le rôle de son maître, dit que « la qualité éminente de David est d’être un peintre vrai. » Or est-ce bien la vérité que David représente dans l’art, et ne serait-il pas plus exact de dire qu’il représente la volonté ? Il n’a pas su être pleinement vrai, puisqu’il lui a manqué l’instinct des vérités morales ; mais il a su, il a voulu surtout restituer aux formes pittoresques la simplicité et la noblesse, en contrôlant l’étude de la réalité vivante par les exemples de la statuaire antique. Pour entreprendre une pareille tâche, pour accomplir dans le domaine de l’art cette réforme assez semblable à la réforme littéraire tentée par Alfieri vers la même époque, il faut être doué d’une résolution et d’une persévérance peu communes. David n’ouvrit à la peinture un horizon que relativement nouveau : il ne fut à tout prendre ni un inventeur, ni un initiateur suprême ; mais il eut le mérite de remettre en honneur de sages lois méconnues depuis longtemps, et s’il est juste de ne pas saluer en lui un